Mélisande est un jour retrouvée au bord d’une fontaine par Golaud, petit-fils d’Arkël, vieux roi d’Allemonde. Ce dernier l’épouse, elle développe ensuite un puissant amour pour le frère de son mari, Pelléas. Golaud découvre le lien qui les unit et, jaloux, tue son frère et blesse Mélisande, qui finira par rendre son dernier souffle avant d’avoir donné naissance à une fille.
La pièce s’ouvre sur l’image d’une Mélisande alitée, malade. La mise en scène déjoue l’ordre du texte de Maeterlinck et joue sur ce processus d’ellipse pour d’emblée créer une empathie envers l’héroïne éponyme. S’ensuit une sorte de prologue qui éclaire cette lecture glaçante de la destinée de Mélisande : réinscrivant le personnage dans l’économie de l’œuvre de Maeterlinck, un narrateur nous apprend que le personnage de Mélisande, reparaissant dans Ariane et Barbe-Bleue, n’est autre qu’une des cinq femmes de Barbe-Bleue. Cette ouverture, d’ordre quasi méta-théâtral, est tout aussi habile d’un point de vue institutionnel, puisqu’elle annonce la programmation du Château de Barbe-Bleue, unique opéra de Bela Bartok, lui-même inspiré de Pelléas et Mélisande, qui sera joué dans le cadre du Festival « Franchir les portes » (du 17 mars au 4 avril) de l’Opéra de Lyon, que Richard Brunel dirige. Comme le claironne joyeusement une des servantes dans la toute première scène de la pièce de Maeterlinck, « Il y aura de grandes fêtes ! Ouvrez vite !… ».
Ensuite, nous sommes plongé·es dans la temporalité qui précède l’image de Mélisande sur son lit de mort ; le point de bascule est une tempête, centrée sur l’héroïne en lutte contre les forces contraires. Toute la fable de Maeterlinck se déploie enfin : la rencontre avec Golaud, les rendez-vous avec Pelléas, la perte de l’anneau, l’aveu d’amour interdit, le déchaînement de la jalousie de Golaud, la disparition de Mélisande… Tous les épisodes sont là, resserrés autour de la souffrance de l’épouse captive. La mise scène est à ce propos cohérente, puisqu’elle renvoie à de multiples reprises vers la situation d’emprisonnement dans laquelle elle se trouve. La scène de retrouvailles avec Pelléas est à cet égard très belle : la comédienne tournoie librement autour de la cage du lit conjugal, pour se retrouver la tête penchée au-dessus de celui qu’elle aime, si proche de lui qu’elle pourrait presque le toucher. La scène, telle qu’elle est décrite par Maeterlinck, voudrait que Mélisande soit admirée de loin, en haut d’une tour. La proximité choisie par Richard Brunel intensifie la tension dramatique. D’ailleurs, les choix de mise en scène de Richard Brunel sont puissants, car ils refusent la littéralité. Tout concorde à nous bousculer. Mélisande, sans cesse comparée à un oiseau dans le texte de Maeterlinck, évolue sur le plateau de théâtre, comme un oiseau qui se débat vainement dans la cage de scène.
Si la mise en scène, la scénographie, tout autant que la musique – limitée à quatre éléments – contribuent là aussi à créer un effet de confinement d’ordre existentiel, la direction d’acteur, en revanche, peut nous sembler moins convaincante. Tout tient au choix de faire alterner les personnages, en particulier Mélisande, entre parole et chant. Si l’actrice, Judith Chemla, se montre puissante lorsqu’elle chante, elle s’avère plus décevante lorsqu’elle joue, car elle fait de Mélisande un être frêle et ingénu, là où on l’aurait peut-être imaginée plus abstraite, prise dans une impasse existentielle, tout comme l’est Mademoiselle Julie chez Strindberg, qui, elle, répète, inquiète, « Je ne peux pas partir, je ne peux pas rester ».