« Noémie dit oui » mais ne donne pas voix à son personnage

Prisonnier de son programme déterministe, « Noémie dit oui » peine à dépasser le film à sujet pour donner vie à son personnage.

Premier long-métrage québécois écrit et réalisé par Geneviève Albert, Noémie dit oui raconte l’histoire d’une jeune fille mineure, isolée socialement et qui trouve dans un groupe de dealers-proxénètes un nouveau foyer… avant que ce nouveau milieu ne la force à se prostituer. Le film rassemble tous les topiques du film social à sujet. Derrière son programme (dénoncer la prostitution des mineures au Québec), le titre promet de répondre à une question : qu’est-ce qui a amené Noémie à accepter de se prostituer ?

Le film d’un peu moins de deux heures est structuré en deux grandes parties. D’abord, tout ce qui amène Noémie à consentir. Ensuite, le film donne à voir les conséquences de ce « oui », c’est-à-dire comment Noémie (incarnée par Kelly Depeault) devient une travailleuse du sexe. Autrement dit, le film ne donne jamais de liberté à son personnage, plombée par le déterminisme absolu dont elle est la victime tout au long du film, doublement prisonnière de son milieu social puis du groupe qui l’amène à se prostituer.

Noémie navigue entre trois milieux : le foyer pour jeunes filles (l’institution protectrice), la maison de sa mère (la famille qui la rejette) et l’autoproclamé « gang » (sa « nouvelle » famille qui l’accueille). Son trajet est cyclique : rejetée une nouvelle fois par sa mère, trahie par le gang, elle revient au foyer. Qu’a-t-elle appris à travers les traumatismes subis ? Même à travers cette grille de lecture dramaturgique, le film révèle un manque de profondeur.

Tous les autres personnages n’évoluent pas et restent cantonnés au rôle qui leur est assigné : le copain-proxénète qu’on ne comprend pas vraimen (et qui aurait pu être un antagoniste parfait), la mère incapable et instable, l’amie ayant totalement intériorisé son aliénation, l’éducatrice protectrice… Tous sont monolithiques et ne peuvent sortir de leur fonction dramatique. Les dialogues en sont considérablement appauvris et manquent de sous-texte et d’intensité.

Quant à la protagoniste : le personnage de Noémie subit et nous subissons avec elle la violence extrême à laquelle elle est confrontée. Une passivité extrême qui ne lui laisse que de la possibilité de fuir. Des fugues qui sont un des moteurs de l’action entre les milieux : Noémie fugue du foyer, puis s’enfuit du gang une première fois, s’enfuit de chez sa mère, puis tente de fuir une deuxième fois, avant de réussir à la fin, pour être « sauvée » par l’éducatrice du foyer qu’elle fuyait au début du film.

Noémie dit oui aurait gagné à davantage penser sa mise en scène. La caméra se contente de suivre les mouvements émotionnels de Noémie : quand elle est en colère et fuit, la caméra portée tremble à l’extrême. Ce manque de distance traduit un impensé du regard de la réalisatrice sur son personnage, et ce sur qu’elle filme. Dans les séquences de passes, numérotées en intertitres, on croit d’abord voir surgir les tableaux de Vivre sa vie (Jean-Luc Godard, 1962), avant d’être mal à l’aise devant le spectacle sordide et interminable filmé.

L’une des rares répliques marquantes de Noémie aurait permis à son personnage de prendre un chemin de traverse. Un homme lui demande quel est son plus gros fantasme, elle répond : « Tuer un homme pendant qu’il me baise ». Malheureusement pour Noémie comme pour nous, ce possible renversement de la situation ne sera qu’un fantasme.