Le livret de Bernstein retrace le parcours initiatique de Candide, du château de Thunder-ten-tronckh, dont il est chassé pour avoir aimé la fille du baron, Cunégonde, au métaphorique jardin qu’il s’agit de cultiver. Que de vieux souvenirs de lecture le titre de ce spectacle n’éveille-t-il pas ! Les spectatrices et spectateurs viennent assister à cette version de Candide, chargés d’un horizon d’attente, que la réalité de cette mise en scène, flirtant davantage avec la mise en espace, vient vite déjouer.
La pièce s’ouvre sur l’image d’une rangée de chaises, disposées en ligne. Des personnages — ou plutôt des personnes, tant ces silhouettes ont tout des passants que l’on croise quotidiennement dans la rue — s’accumulent sur le plateau, faisant ainsi advenir une foule ordonnée sur la scène de l’Opéra. L’impression troublante se poursuit tout au long de la pièce (De quoi doit-on parler d’ailleurs ? Satire, opéra, opérette, ou comédie musicale ?), des danseurs effectuent des mouvements surprenants.
D’après le metteur en scène et sa chorégraphe, Annie B Parson, ces derniers tendent à dire les riens de la vie se poursuivent en marge du récit voltairien. Parfois, à l’inverse, leurs déplacements tendent à signifier ce qui est en train de se dire sur scène. La présence de ces danseurs/marcheurs nous porte ainsi à croire que Daniel Fish et sa chorégraphe n’ont pas tranché quant au régime que devrait connaître la danse dans cette pièce, elle oscille alors entre illustration et abstraction. L’écriture chorégraphique semble manquer de cohérence et la danse se répand, inconsistante, sur la scène de la Grande salle de l’Opéra de Lyon.
En revanche, ce qui nous maintient en éveil tout au long du spectacle, ce sont les interventions ironiques d’un narrateur extérieur, venant instiller un peu de théâtralité, dans un récit très dense. Éclairé par une poursuite, le conteur prononce des aphorismes pessimistes, qui font largement référence à notre actualité. Reprenant les codes du seul-en-scène, ces prises de parole grinçantes sont autant de moment de lumière (paradoxalement) dans une mise en scène plutôt plate. Même le surgissement de mousse sur le plateau, qui a lieu à deux reprises, ne parvient pas à éveiller en nous une quelconque réjouissance de l’œil. Il semble que, peu importe les rares choix scéniques opérés, tout contribue à émousser la pièce de Berstein.
Un seul élément a pu capter toute notre attention, à savoir le mystérieux et immense ballon, présent dès le début du spectacle, à jardin, mais là aussi, encore aurait-il fallu le dramatiser un tant soit peu. L’objet intrigue, car transparent autant que réfléchissant, il aurait pu constituer un élément de jeu tout à fait intéressant en se faisant notamment la métaphore inquiétante d’un monde menacé. Le constat s’impose : cette sphère, qui est, à notre sens, la grande oubliée de cette scénographie, est néanmoins douée d’une plus grande présence scénique que les danseurs.
Il nous semble même qu’en la regardant, elle nous lance insolemment ces vers de Goethe « Voici le monde :/La boule ronde/Monte et descend ;/Creuse et légère,/Qui, comme verre,/Craque et se fend :/Fuis, cher enfant !/Cette parcelle/Dont l’étincelle/Te plaît si fort…/Donne la mort ! ». Mais encore une fois, les choix de mise en scène ont de quoi nous décevoir et le ballon n’est que timidement poussé lors de la deuxième partie du spectacle. L’aire de jeu sur scène se fait très mince et tous les éléments présents semblent relever de l’ornementation. En somme, la mise en scène apparaît comme une réponse chiche, face à la brillante direction musicale, assurée par Wayne Marshall.