Henzo Lefèvre : « L’acte de faire un film politique, c’est d’interpeller les citoyen·ne·s.  »

Directeur du Festival international du film politique de Carcassonne, Henzo Lefèvre raconte le travail de sélection qu’il anime à l’année et les enjeux financiers d’un jeune festival qui a choisi comme thématique le film politique.

Du 11 au 18 janvier 2023 s’est déroulée la 5ème édition du Festival international du film politique de Carcassonne (FIFP). Portée par l’association Regard Caméra, la manifestation aspire à créer le débat autour d’une sélection pour tous les publics : longs comme courts-métrages, fictions comme documentaires. Henzo Lefèvre, fondateur et directeur du festival, nous raconte les enjeux de la programmation des films, les attentes des spectateurs·trices mais aussi les difficultés pour ce jeune festival à se maintenir d’années en années tout en maintenant son ambition initiale.

Des films politiques ?

Une première question, comme nous le posons à tous les invité·e·s du festival, quelle est votre définition d’un film politique ? 

La définition d’un film politique, c’est une question qui revient souvent et je trouve intéressant de la poser à tout le monde ! Je vais citer Lyna Khoudri qui disait à propos du film Nos Frangins de Rachid Bouchareb que son engagement à elle c’est de faire du cinéma et que l’acte même de faire du cinéma est un acte politique. C’est-à-dire que c’est politique de faire du cinéma : je rejoins beaucoup cette vision des choses.

Si je devais donner ma définition, je pense que dans la vie tout est politique et je pense que le cinéma est politique. Par contre, tout n’est pas intentionnellement politique. Le cinéma politique est celui qui est intentionnellement politique. C’est-à-dire qu’un·e scénariste ou qu’un·e cinéaste va mettre au cœur du sujet de son film un enjeu politique au sens citoyen. Le cinéma politique inclut bien sûr le cinéma militant, mais il n’y a pas que le cinéma militant dedans. Quoi qu’on pense à la fin du film, ce qui compte, c’est qu’on soit interpellé·e en tant que citoyen·ne sur le sujet.

L’acte de faire un film politique, c’est d’interpeller les citoyen·ne·s. Et le sujet politique, il faut le prendre aussi au sens le plus large possible : c’est ce qu’on essaye de démontrer au travers de ce festival. Dans la tête de beaucoup de monde, la politique appartient aux élus, elle se restreint au temps électoraux ou à l’information quotidienne. Moi, ce qui m’anime dans ce qu’on fait, c’est que grâce aux œuvres qu’on présente, on aborde des sujets qui sont détachés de l’actualité mais qui sont des sujets importants, qui sont des sujets importants pour nourrir tout simplement les citoyens que nous sommes.

Maintenant, l’avantage du cinéma, c’est qu’en plus on présente des œuvres qui sont fortes, donc on ne fait pas que de penser un sujet. Je crois qu’on a la chance de découvrir et de faire découvrir au public de très belles œuvres tant en fiction qu’en documentaire. Et en plus de réussir à interpeller les citoyens que nous sommes toutes et tous.

Quand vous voyez tous ces films, un peu plus de 350 cette année, est ce que vous ne dites pas que quelque part tous ces films sont politiques ?

Dans notre façon de programmer, la première question qu’on se pose est : est-ce que le film est politique ? Parce qu’il est vrai que des fois la politique est un décor pour parler d’autre chose. Parfois, on ne sent pas l’intention politique derrière, alors on va vérifier l’intention politique aussi en allant lire une note d’intention ou un dossier de presse par exemple.

Le travail de sélection

Quels sont vos principaux critères pour sélectionner les films ?

Il n’y a pas beaucoup de critères pour sélectionner les films. Le premier critère, c’est d’être un film politique, que la politique soit pas un prétexte pour parler d’autre chose. Pour le deuxième critère, je préfère parler de f force artistique ou de dimension artistique plutôt que de « qualité ». Est-ce que la dimension artistique nous a suffisamment touchés ? Nous, en tant que programmateur, en tant que directeur artistique, pour qu’on ait envie de présenter le film tout bêtement. Ce sont les deux critères. Il n’y a pas de contrainte sur le reste.

Est-ce qu’au sein de la programmation de la compétition fiction, vous essayez d’avoir un équilibre entre différents genres, différentes échelles de production et de budget, différents genres ?

On ne met pas de critères à ce niveau-là. Étienne (président), Robin (directeur adjoint) et moi, nous sommes l’interface avec les ayants droits, les vendeurs internationaux ou les distributeurs. Il y a deux façons d’avoir un film : soit nous recevons des propositions, soit nous allons les chercher et nous discutons. Par exemple, je vais voir le distributeur Pyramide Films et nous leur demandons ce qu’ils ont en sortie dans les prochains films.

Nous allons aussi prospecter dans d’autres festivals internationaux : par exemple j’aime bien regarder la sélection de Toronto ou de Los Angeles. Nous n’avons pas pas les moyens, hélas, d’y aller, mais nous faisons en sorte de recevoir les films qu’on sent politiques et qui passent par d’autres grands festivals avant nous. Cela nous permet d’avoir le panorama de tout ce qui est produit et de « piocher » dedans tout bêtement.

Parfois on peut se dire qu’on a pas reçu beaucoup de films de telle région du monde.Jusqu’à la quatrième édition, on a eu beaucoup de difficultés à travailler avec le cinéma asiatique, on avait très peu de films et donc on a travaillé à ouvrir les réseaux, à aller chercher plus de vendeurs internationaux d’Asie, etc. pour voir plus de films asiatiques. Parce que forcément, en recenvant cent films français, deux films asiatiques et vingt films d’Amérique latine, il y a très peu de chance que les deux films asiatiques se retrouvent dans la sélection finale par rapport au nombre de cases possibles et par rapport au nombre de films vus.

Est-ce que vous mettez avant tout à la place du public en vous demandant si c’est un film « pointu », si c’est un film plus grand public, avec des acteurs que les gens vont connaître ?

C’est une discussion que nous avons beaucoup entre nous. Il y a des films qu’on sélectionne, par exemple cette année Divertimento de Marie-Castille Mention-Schaar, la salle sera très simple à remplir. C’est plus difficile sur d’autres documentaires mais je crois qu’on a un public qui est suffisamment cinéphile et curieux pour aller voir un peu tout. On a aussi construit une tarification avec un système de pass festival qui ne donne pas pas le sentiment de perdre de l’argent en allant voir un film qui ne serait pas un premier choix dans la sélection d’un spectateur ou d’une spectatrice. Le public a aussi cette curiosité.

La part des documentaires

Vous avez fait le choix d’une compétition documentaire équivalente à celle dédiée à la fiction.

On essaie de laisser une place au documentaire quasiment à 50 %. Avant on était à du 50/50 je pense. Cette année on a reçu énormément de fictions alors que d’habitude on voyait plus de documentaires que de fictions. La sélection était plus équilibrée pour faire court. Cette année, on a été surpris par le panorama de ce qui se produit : on a reçu plus de fictions que de documentaires en long-métrage.

Au sein du comité de sélection, il faut se mettre d’accord et il y avait beaucoup de frustrations sur les fictions, donc on a fait beaucoup de séances spéciales en fiction. Mais la compétition, c’est autant de long-métrages en fiction qu’en documentaire. On ouvre avec une fiction et on termine en cloture avec un documentaire. Moi, je donne tout autant d’importance au cinéma documentaire qu’à la fiction : j’y suis extrêmement attaché.

Cette année, vous avez compris l’équilibre. D’habitude, on voit énormément de documentaires, donc la barre est de plus en plus haute chaque année ici et je suis très satisfait des films qu’on a sélectionnés parce qu’ on est dedans. L’enjeu est que nous sommes un festival thématique. Des fois, j’envie forcément les festivals qui ne sont pas des festivals thématiques et qui n’ont forcément que des films forts et puissants. Même si nous aimons certains films, s’ils ne sont pas politiques, nous ne pouvons pas les sélectionner.

Est-ce que vous recevez beaucoup de documentaires qui ne sont pas politiques ? Le documentaire est genre qui aborde plus frontalement les questions politiques.

C’est plus rare en documentaire. En revanche, le problème que nous avons pu avoir est de recevoir des films trop peu produits, trop amateurs en documentaire ou alors trop de documentaires format télé 52′ très formatés, tant sur le fond que sur la forme. Nous, le but, c’est de montrer du cinéma. On laisse le formatage de côté. Je n’ai rien contre, mais il y a des festivals de télé qui sont dédiés à ces films.

Des courts-métrages

L’une des nouveautés de cette édition est la création d’un comité spécial pour les courts-métrages avec une compétition dédiée. Comment avez-vous amené ces nouveaux formats plus brefs dans votre programmation ?

Depuis qu’on a créé le festival, on voulait donner une place aux courts métrages, mais on revient à ces questions d’exigence. Le festival est jeune, c’est sa cinquième édition, mais la quatrième véritable du fait de l’annulation lors de la crise covid. Petit à petit, on se fait une place grâce à l’affluence qui aide ensuite à convaincre les ayant-droits de travailler avec nous quand nous arrivons à réaliser 600 ou 650 entrées sur le film d’ouverture, Houria de Mounia Meddour.

Sur le court-métrage, on avait peur de ne pas recevoir suffisamment de films à la hauteur de nos attentes. Nous avons préférer attendre. On a attendu de gagner un petit peu en notoriété. Ce deuxième comité de sélection regroupe des personnes dont les parcours de vie, les parcours professionnels et les parcours géographiques sont tous différents. Tous ne viennent pas forcément de l’industrie du cinéma.

Au moment du lancement des inscriptions, on s’est dit « Bon, on va voir ce qu’on reçoit. » Et honnêtement, on a reçu 158 films et il y a eu vraiment une longue discussion en comité de sélection avec de vrais choix qui ont été faits. On a vu des œuvres fortes. Mais c’était une première. Je pense que l’année prochaine, la sélection va être encore plus forte parce que petit à petit le festival sera identifié par l’industrie du court-métrage.

Est-ce que vous vous laissez de la place aux courts-métrages qui peuvent être tournés dans la région ?

Moi, je suis attaché au territoire. Je pense que sur les questions de territoire, je n’ai aucun doute sur l’impact de ce festival, tant sur la vie culturelle, tant sur l’attraction du territoire, tant sur les retombées économiques. Par exemple, il y aura entre 300 000 et 500 000 € de retombées économiques sur cette édition. Mais tout territorialiser n’est pas quelque chose qui nous anime énormément.

Est-ce que vous recevez des courts métrages de la région Occitanie ?

On en reçoit, bien sûr, mais il n’y a pas de priorité qui est donnée à ce niveau. Ce n’est pas un critère sur le long-métrage et ce ne le sera pas sur le court-métrage. Par exemple, l’année dernière on a présenté Selon la police, un long-métrage qui avait été partiellement tourné à Carcassonne. Nous étions très contents de faire une première mondiale sur un film dont le tournage, en plus, est passé par la ville. Mais on n’a pas pris parce qu’il était passé par Carcassonne. Certes, o a certainement réussi à négocier la Première Mondiale parce qu’il y avait eu le tournage à Carcassonne. Mais ce n’était pas pour ça qu’on prenait le film. Nous, l’équipe artistique, on ne peut pas prendre des films pour des critères autres que le fait de croire au film.

Toujours sur les questions de territoire, est ce que vous savez si votre public vient surtout de Carcassonne, des villes un peu aux alentours ou si vous arrivez à attirer encore plus loin ?

Notre public vient des quatre coins de la France : toutes les régions de France sont là, pas tous les départements, hélas, mais l’année prochaine, peut-être ! Notre public vient de partout depuis janvier 2022. C’était moins le cas avant Covid. Notre médiatisation a aussi un petit peu évolué. Je pense aussi que des rédactions comme vous et d’autres qui parlent aux cinéphiles donnent envie de venir et donnent une existence au festival ailleurs qu’en région.

On en revient aux enjeux de la territorialisation : l’impact sur le territoire, on l’a. Maintenant, le but est d’avoir vraiment un public de cinéphiles. C’est un festival qui s’adresse aux gens qui aiment le cinéma avant tout, clairement. C’est un festival de cinéma et je suis ravi de voir des gens qui arrivent de Bretagne, de Strasbourg, de Lille ou de Paris. En termes de proportions, forcément, ce n’est pas les Strasbourgeois qui sont plus nombreux que les Carcassonnais. L’année dernière, nous étions sur un tiers de Carcassonnais et deux tiers autres sur 10 000 entrées.

L’équilibre public-privé

Vous en êtes à la 5ème édition. Nous savons que les festivals de cinéma peuvent dépendre de l’arrêt brutal de certains soutiens financiers, notamment publics. Comment est ce que vous travaillez pour que le festival s’installe dans le temps et garde son équilibre, sa programmation, son nombre de films ?

Je crois que c’est l’enjeu de tout le monde en ce moment dans le secteur. Il y a un élu qui nous disait il y a quelques mois que le temps de la culture subventionnée était fini et que si nous ne trouvions pas des partenaires privés très vite, tout allait disparaître. Nous restons quand même dans un état d’esprit quasiment de service public, par la tarification ou par notre rapport au public. Ce que vous soulevez est une réalité qui est en train d’évoluer mais nous continuons de vouloir malgré cela convaincre la puissance publique sur le sujet.

Nous essayons aussi de travailler avec des entreprises qui peuvent assumer le fait de partager des valeurs citoyennes et pour qui le mot politique n’est pas un épouvantail pour eux, parce qu’ils y voient une valeur citoyenne derrière. Il y a eu des constructions de partenariats privés qui ont eu lieu cette année et qui ont, fort heureusement, qui ont sauvé le festival. En 2022, nous avons frôlé la mort en 2022, malgré le succès de la fréquentation.

L’augmentation des tarifs dans la culture, y compris dans l’industrie de la musique et les festivals de musique, se voit bien dans le fait que toutes les sorties culturelles sont en train d’exploser, y compris sur des salles en province ou des petites salles. Moi je considère qu’on a la responsabilité à essayer de ne pas rentrer dans cette spirale inflationniste et de rester accessible. On a une part de billetterie qui vient peser un peu dans le budget.

On a du mécénat d’entreprises et de particuliers, heureusement qu’ils sont là. C’est une stratégie qui n’est pas toujours facile à développer. Il faut satisfaire le public quand même pour que publics, l’année qui suit se dise : « Je vais faire un don. » Cette année, on a eu, ce n’était pas énorme, mais une quarantaine de donateurs nous ont soutenu et ont eu les moyens de faire ce don.

Il y a la stratégie de développement économique et de stratégie marketing, comment monter des opérations de placement de produit. Tout cela se travaille avec les marques d’année en année, avec avec différents types d’entreprises, avec des entreprises du territoire certes. S’appeler festival du film politique ferme la porte de beaucoup d’entreprises dans l’absolu.

Est-ce que si vous aviez choisi le terme « citoyen » plutôt que « politique » vous auriez le même problème ?

C’est une question qui nous a énormément traversé ces dernières années dans les enjeux budgétaires. Étant donné que la billetterie est déficitaire chez nous, l’an dernier, on s’est dit qu’on n’allait pas faire autant d’entrées et on a fait plus d’entrée que prévu, donc plus d’entrées prévues. C’est-à-dire qu’on a dépensé plus d’argent que prévu avec ce système-là et donc ça ne nous a pas aidés. Nous nous sommes retrouvés derrière à devoir reconstruire un budget avec les enjeux qu’on a eu et la perte de financements publics. Et forcément, la question marketing du mot politique, on se l’est énormément posée avec les équipes du développement économique.

Moi, je pense que le film politique, ça veut dire quelque chose, que le cinéma politique a une histoire, qu’il y a des cinéastes qui incarnent extrêmement bien ça, que c’est aussi une identité qu’on a construite depuis 2018. Le mot « citoyen » est l’une des évolutions envisagée comme sous-titre du festival. Peut-être pour l’année prochaine.

Le festival dans cinq ans

Vous en êtes à la cinquième édition, comment imaginez-vous le festival dans cinq ans, pour la 10ème édition ?

Dans cinq ans, il y a plein de choses, mais il y a des choses qui vont arriver vite. Une programmation à l’année très stable, avec des équipes de films très régulièrement tout au long de l’année à Carcassonne. C’est un vrai objectif avec les ayants-droits. Il y a d’autres enjeux pour pouvoir confirmer ça. Je dois faire des confirmations justement avec différents distributeurs et des films qu’on a pas sélectionnés mais qu’on a envie de présenter, au moins une quinzaine. J’ai vraiment envie qu’on les accompagne à l’année sur le territoire.

Ensuite, plus de présence à Paris. C’est un enjeu évidemment lié au budget, mais forcément nous on n’est pas sur Paris et on sait à quel point le métier existe à Paris. J’espère aussi qu’une bonne partie des films qui n’ont pas de distributeur français et qu’on sélectionne finiront par être achetés, distribués dans les salles françaises. Parce que vu la composition du comité de sélection, je pense qu’ils sont suffisamment convaincants pour faire les entrées en France. Clairement. C’est un vrai objectif. Il n’y a pas d’objectif à devenir un marché mais certains films de la sélection sont en vente internationale et n’ont pas encore de distributeur en France.

C’est peut-être un objectif pour la prochaine édition : j’espère qu’on aura plus de salles, mais ça, c’est faisable. Là, on a une capacité d’accueil sur un même créneau horaire à 1400. Samedi à 14 h 30, on peut accueillir 1400 festivaliers à la même heure. J’espère dès l’année prochaine ou dans deux ans plus tard passer la barre des 2000 sur chaque créneau horaire. dans une ville de 45 000 habitants, c’est pas facile. Tout ça en restant accessible à pied. J’espère que dans cinq ans, on aura la capacité d’accueillir au moins 2500 personnes sur chaque créneau horaire. Franchement, je pense qu’on est partis pour vu l’affluence.

Un dernier objectif, c’est l’international. dans la sélection : 19 pays cette année. Mais pas que : c’est à la coopération internationale. Je veux qu’on aille faire des échanges, je veux qu’on emmène des équipes de films français, je veux que les équipes étrangères viennent. Il y a plein d’échanges à faire avec le Royaume-Uni par exemple. J’espère qu’on aura au moins deux festivals partenaires, mais c’est difficile parce que ça coûte beaucoup d’argent à mettre en place. Mais on va y arriver !


Festival international du film politique de Carcassonne