Cécilia Rose et Thomas Carillon : « Avec Préludes, nous allons chercher de nouvelles écritures »

À la fois plateforme de diffusion et collectif de producteurs·trices, Préludes a fait des premiers films un créneau. Cécilia Rose et Thomas Carillon nous racontent les enjeux derrière leur envie : faire émerger les prochaines générations de cinéastes.

Cécilia Rose et Thomas Carillon ont fait du premier geste de cinéma le cœur de leur projet. Sans doute parce qu’une première fois est toujours unique, le collectif à l’initiative de Préludes a souhaité que leur plateforme de diffusion — cofondée en 2022 — soit centrée autour de ces premiers pas, puisque Préludes ne diffuse que des premiers films. C’est là une contrainte dans la constitution de votre catalogue qui en fait la singularité. Tous les deux ont travaillé dans la production de films puisque Cecilia Rose a été productrice chez Félicité et Thomas Carillon a été producteur chez Wrong Films entre 2015 et 2023, mais dirige aussi Micro Climat, un studio de post-production fondé en 2017.

S’investissant aussi dans des coproductions et préachats, leur plateforme elle-même est une outsider dans un système de production et de diffusion des films — courts-métrages comme longs-métrages — bien établi en France. Comment se situe Préludes dans ou par rapport cet écosystème historique ? En quoi la plateforme comme le collectif peuvent intervenir pour soutenir d’autres formes de cinéma plus fragiles ? Et quels sont les enjeux de restauration et de visibilisation du court métrage de patrimoine ou des perspectives à venir pour Préludes ?

Premiers gestes

Émile Parseghian : Alors, une première question. La plateforme, en fait, c’est un an. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui, que ce soit du point de vue éditorial ou financier ?

Thomas Carillon : Vaste question ! D’un point de vue éditorial, nous en tirons un résultat plutôt positif, c’est-à-dire que nous restons avec une proposition assez singulière et avec des films rares. C’est un vrai plus, je pense, pour ceux qui visionnent. La plateforme reste une vitrine de ce que nous faisons. Le cœur de notre métier reste malgré tout beaucoup plus axé sur la coproduction, la distribution, les ventes internationales des films que nous préachetons ou que nous restaurons. En ce qui concerne le modèle financier, le modèle économique que nous espérons faire perdurer pour Préludes n’est pas sur le côté plateforme : aujourd’hui le modèle n’existe pas puisque la plateforme est gratuite et il n’y a pas de publicité. C’est vraiment une vitrine en libre accès.

Thibault Elie : Comment définissez-vous un premier geste de cinéma ou un premier film ?

Cécilia Rose : Vaste question là aussi ! Nous n’avons pas vraiment trouvé la réponse, mais tout comme tous nos confrères et consœurs qui travaillent sur ce sujet-là ne l’ont pas vraiment trouvée non plus, à savoir les festivals qui sont dédiés vraiment aux premiers films. À l’image du festival Premiers Plans d’Angers, que nous avons couvert sur notre site cette année (lire notre critique croisée de la section « Diagonales »).

Cécilia Rose : En effet, comme Premiers plans à Angers, comme Belfort et comme beaucoup d’interlocuteurs que nous avons pu avoir. Est-ce que c’est le premier film étudiant ? Est-ce que c’est un premier film autoproduit ? Est-ce que c’est un premier film produit ? Est-ce que c’est un premier film exploité ? Chez Préludes, nous nous laissons une forme de liberté par rapport à cette définition. Nous n’avons pas totalement tranché la question. Nous allons dire que nous sommes plutôt sur l’accompagnement de premiers films produits, mais évidemment, dans le catalogue des films restaurés que nous montrons, nous avons par exemple un premier film de Raoul Peck qu’il a réalisé à l’université.

Nous nous intéressons à des œuvres de cinéastes et c’est aussi un peu l’objet de la plateforme que de s’intéresser à de tout premiers gestes de cinéastes qui ont accédé à une certaine reconnaissance aujourd’hui et dont nous voyons que ces tout premiers films, même des films étudiants, portent déjà en eux toute la marque esthétique, tout le langage cinématographique qu’ils ont développé ensuite. Nous ne sommes pas très orthodoxes sur cette appellation « premiers films » et je pense que nous voulons rester un peu dans cette liberté-là.

Thomas Carillon : Oui, surtout que cette appellation est parfois compliquée à mettre en place. Si nous voulions vraiment être orthodoxes, nous nous priverions de beaucoup de films, parce que, par exemple, beaucoup de vrais premiers films sont des films de fin d’études et ces films n’ont aucun droit de diffusion. Nous sommes bloqués là-dessus. Nous essayons d’être un peu malléables et d’essayer de trouver le premier film qui est accessible, restaurable et montrable. Ensuite, nous précisons quand ce n’est pas réellement le premier film qui pourrait être dans ce cas vraiment considéré comme premier film. Nous essayons de bien le dire et de l’expliquer.

Cécilia Rose : Ce que tu dis là concerne effectivement les films restaurés. Pour les films préachats — pour lesquels nous allons nous positionner en coproducteur — ce que nous regardons c’est à quel point une première œuvre a pu être déjà montrée, exploitée, diffusée ou quelle a été la visibilité d’un·e cinéaste dans les festivals. En général, si effectivement il y a déjà eu une première œuvre, même si c’est un film étudiant, mais qui a déjà confirmé son auteur·trice, nous aurons plutôt tendance à ne pas la préacheter.

Thomas Carillon : Nous avons eu beaucoup de cas où des films de fin d’études avaient une exploitation en festival, ce qui représentait parfois plus de 100 festivals. Là, c’est un peu compliqué parce que nous préachetons un premier film, ce qui est censé être un premier film, mais auprès du marché, il est déjà catégorisé en deuxième film. Donc nous marchons sur des œufs. Nous essayons de faire attention un peu à comment le film va être reçu et puis, comment le secteur peut mal comprendre notre intervention. C’est assez compliqué. Nous jouons avec beaucoup de contraintes.

Cécilia Rose : Pour ces préachats, nous avons un peu aussi envie de nous positionner en révélateur. Si nous partons sur des auteurs qui sont déjà « attendus », même si c’est dans un cercle assez fermé, nous remplissons plus cette mission-là.

Politique de préachat

Thibault Elie : Ces courts métrages de jeunes auteurs·trices contemporain·e·s que vous préachetez, cela veut dire que vous en acquérez les droits avant le tournage, lorsque le film n’est « qu’un » scénario. Dans l’économie du court métrage, le soutien d’un diffuseur est souvent un levier financier, puisque cela permet de consolider le budget de la production et aussi d’être éligible à d’autres aides, notamment publiques, en région ou au CNC. Qu’est-ce qui vous a poussé à ne pas vous contenter de faire une plateforme de films de patrimoine ou d’achats de films déjà tournés et diffusés, mais de vous investir dans la production de films, mais aussi en tant que coproducteur ?

Thomas Carillon : C’est même l’essence de l’envie de créer Préludes. L’idée fédératrice était de créer un diffuseur qui permette la production de premiers films et d’accompagner ce geste à la fois artistique, mais aussi de fabrication et de production. Nous ne sommes pas du tout partis sur l’idée d’avoir une plateforme de diffusion pour diffuser un catalogue. Ces plateformes, il y en a déjà plein. Ce n’était pas du tout notre approche. L’approche était vraiment une approche industrielle : comment est-ce que nous aidons des producteurs contemporains à fabriquer des premiers films ?

De là est née l’idée de préachat qui justement, en effet, s’implique bien dans des déblocages d’aides et qui permet aux films d’avancer. Nous essayons d’être un peu curateurs, c’est-à-dire vraiment d’aller sur des films un peu risqués, justement, là où d’autres diffuseurs n’iraient pas, là où il y a des fragilités dans le plan de financement ou même dans une écriture. Nous avons envie d’aller chercher de nouvelles écritures et de les accompagner. L’idée fédératrice était de vouloir accompagner la production de premières œuvres de court métrage et, à plus long terme, de long métrage. Nous voulons aussi nous positionner là-dessus.

Cécilia Rose : Notre expérience de production pour Thomas comme pour moi nous a permis de voir la difficulté pour ces films-là de se faire.

Thibault Elie : Du fait que les chaînes de télévision, les diffuseurs traditionnels de l’économie du court métrage qui interviennent aussi en préachat, ne se positionnent pas sur ces premiers films ?

Cécilia Rose : Oui, le désengagement des diffuseurs. Ils ne vont pas sur ces premiers films-là. Ce n’est pas qu’ils ne vont pas du tout sur de premiers films, mais ils ne vont pas sur ces premiers films-là que nous soutenons. Nous sommes assez convaincus que ces premiers films-là doivent exister, et c’est effectivement l’idée de base de cette plateforme. Ce que nous avons fait après avec les films de patrimoine, c’est de montrer aussi les risques qui ont pu être pris par certaines productions à l’époque pour accompagner des auteurs auxquels personne ne croyait avant et qui ont ensuite fait leurs preuves, dont nous connaissons l’œuvre qu’ils ont pu produire par la suite.

L’idée du court métrage, c’est parce que c’est souvent le premier film qui est fait. Il y a très peu de gens qui partent sur de premiers longs métrages tout de suite. C’est vraiment montrer la première pierre de l’œuvre. L’idée était vraiment d’aller à des endroits où d’autres ne vont pas ou plus, où il devient de plus en plus compliqué de fabriquer ces premiers films et de faire confiance à de jeunes auteurs·trices, quel que soit leur âge.

Thomas Carillon : En ce sens aussi, nous cherchons vraiment à être en complément de ce qui existe déjà : l’idée n’est pas d’être une alternative aux diffuseurs historiques, mais de vraiment aller se positionner sur des films qui ont été refusés par les autres diffuseurs. Nous sensibilisons et responsabilisons les producteurs de venir nous voir en bout de course pour justement qu’on vienne aider à un film qui a été délaissé par les chaînes historiques. Voilà comment nous nous positionnons jusqu’à maintenant.

Thibault Elie : Quand vous préachetez un film, est-ce que vous intervenez en tant que diffuseur en première fenêtre — en tant que premier diffuseur — ou est-ce que vous pouvez aussi intervenir en deuxième, troisième fenêtre pour les courts métrages ?

Thomas Carillon : Ce que nous faisons, c’est qu’au moment du préachat pour Préludes, nous signons une primo diffusion et si un plus gros diffuseur arrive par la suite — après la fabrication du film, après une première en festival — et qu’il veut la primo diffusion, c’est un sujet que nous pouvons discuter. Nous sommes coproducteurs du film, donc nous sommes là pour les intérêts du film et pas seulement pour notre intérêt. Donc, nous trouvons des solutions pour que cela soit possible. Cela s’est déjà produit et nous avons perdu quelques primodiffusions.

Coproduction associée

Émile Parseghian : À propos de la coproduction, vu que vous intervenez quand le film est déjà en financement, quelle est votre place plutôt en tant que coproducteur qu’en tant que diffuseur ? Est-ce que vous vous impliquez activement dans la fabrication, éventuellement dans une fin de développement ? Ou est-ce que, au contraire, vous êtes vraiment plutôt justement dans ce rôle de coproducteur, d’accompagnateur économique et de diffusion ?

Thomas Carillon : Il s’agit vraiment d’une coproduction associée. Nous venons apporter ce que nous pouvons apporter, c’est-à-dire de l’argent ou des ressources aussi de postproduction, vu que je suis fondateur de Micro Climat, un studio de postproduction. Nous apportons ce dont la production, le film a besoin, mais nous ne nous immisçons pas dans la fabrication. En plus, nous en coproduisons presque 15 par an, donc c’est quand même un volume. Nous laissons le producteur maître à bord. Nous restons à distance. Si on veut nous montrer un montage, nous regardons volontiers et nous faisons des retours.

Aussi, quand nous lisons les dossiers des films pour des préachats, nous instruisons les dossiers et nous invitons des cinéastes ou des producteurs extérieurs à Préludes pour faire partie du comité de lecture. À ce moment-là, nous faisons en sorte d’avoir un retour assez développé sur le ressenti du scénario et de ce qui pourrait encore pêcher. Nous essayons d’être constructifs dans nos retours. Parfois, nous rencontrons aussi les auteurs.

C’est quelque chose que nous aimerions faire plus, mais parfois, il n’y a pas la place ou il n’y a pas grand-chose à dire. Mais quand nous pensons qu’il y a vraiment quelque chose à modifier, mais que nous voulons soutenir le projet, nous faisons une rencontre, nous faisons nos retours, nous demandons à relire une version. Nous faisons relire cette nouvelle version aux personnes externes à Préludes qui participent au comité. Nous essayons d’être les plus complets, mais tout en restant à notre place.

Thibault Elie : Sur la sélection de ces dossiers, le jugement de vos comités de lecture se base-t-il essentiellement sur le scénario, comme c’est le cas dans tous les guichets de financement en France ?

Cécilia Rose : C’est comme tous les guichets : nous demandons un dossier complet qui comprend le scénario, mais aussi une note de production, une note d’intention, ce qui permet de voir un peu à quoi le film va ressembler. C’est plus qu’un simple scénario.

Thomas Carillon : Il y a aussi tout un volet pour nous qui est très important, que nous étudions vraiment beaucoup, c’est de savoir où en est le développement du film. Est-ce que l’apport de Préludes va permettre aux films de se greenlighter ? Est-ce que, quoi qu’il arrive, la production aurait pu tourner sans notre aide ? Parfois, il y a des films qui ont la contribution du CNC et ils n’ont pas besoin de nous. Nous avons une vraie réflexion sur ce sujet. Nous sensibilisons le comité de lecture à cela. Quand ce sont des producteurs, c’est assez simple, mais quand ce sont des cinéastes, nous les accompagnons dans la lecture de cet aspect financier du dossier.

C’est pour cela que parfois, nous allons sur des films, par exemple, qui vont être fragiles en écriture, un peu expérimentaux, parce que nous sentons qu’avec notre soutien, le film va pouvoir se faire. Nous préférons prendre un risque plutôt que d’aller sur le film un peu attendu où tout est carré et où notre rapport ne représentera pas grand-chose. Il n’y a pas de nécessité à ce que Préludes soit là.

Thibault Elie : Dans les courts métrages préachetés déjà tournés ou à venir sur Préludes, il y a plusieurs documentaires. Sachant que les préachats ou les achats de courts documentaires sur des diffuseurs, même comme Arte, sont quand même plutôt rares. Est-ce que c’était important pour vous de soutenir aussi d’autres formes de cinéma que la fiction ? Et comment sélectionnez-vous les projets ? Comment investissez-vous en tant que diffuseur et coproducteur dans ces documentaires également ?

Thomas Carillon : Oui, tout de suite, il a été très important pour nous de nous dire que nous aidions à la fois du documentaire et de la fiction. Et même, nous nous donnons une obligation d’aider un documentaire si nous avons des documentaires en lecture en commission. S’il n’y en a qu’un seul, nous n’allons pas l’aider automatiquement. Cela reste un soutien que nous pouvons appeler un soutien sélectif. Le genre documentaire est pour nous un genre de cinéma et non pas audiovisuel. Ces gestes s’accompagnent tout autant.

Et d’ailleurs, il y a une lecture spécifique de ce type de dossier : il y a des documentaires dont on sent bien qu’en fait, ils sont allés tourner tout seuls, presque en autoproduction. Ce dont ils ont besoin, c’est de pouvoir finaliser le film, avoir à la fois un soutien financier, mais aussi un diffuseur qui va aider à rayonner aussi en festival et ailleurs. Je pense qu’un film sur trois ou un film sur quatre qu’on soutient est un documentaire.

Un collectif ouvert

Émile Parseghian : Vous avez le renouvellement des auteurs inscrit au cœur de votre ligne éditoriale, mais dans cette perspective de faire émerger des cinéastes émergent·e·s, est-ce que vous êtes aussi attentifs à l’accompagnement de jeunes sociétés de production qui participent à ce geste ? Est-ce que vous pensez cette recherche de nouveaux talents par tous les postes de la création et pas qu’à la réalisation ?

Cécilia Rose : Pour répondre à cette question directement, nous ne sommes pas véritablement dans une démarche de recherche de nouveaux producteurs. Nous lançons des appels à projets qui sont ouverts à tous, s’ils répondent à un certain nombre de critères. Nous, nous sommes constitués sous une forme de collectif, nous en sommes à 15 sociétés de production et nous allons passer à 25. Nous nous ouvrons, dans la structure même et dans l’organisation même de Préludes, à une jeune génération de producteurs émergents ou parfois beaucoup plus installés aussi. Notre travail passe par là, cela passe aussi effectivement par ce réseau et ce tissage qui est propre à la profession et qui fait rentrer régulièrement de nouveaux acteurs. Nous n’avons pas une démarche d’aller chercher ces nouveaux producteurs·trices.

Thomas Carillon : Ces nouvelles sociétés de production, ce sont elles qui viennent à nous. L’idée est d’être dans l’accueil de nouveaux talents et les producteurs·trices font partie de ces nouveaux talents. Nous pouvons aussi les accompagner. Ça nous arrive maintenant que nos appels à projets sont vraiment ouverts à tous·tes et que nous sommes relayés par le Syndicat des Producteurs indépendants (SPI) ou d’autres qui relaient notre appel à projets. Nous sommes vraiment parfois avec de très jeunes producteurs et productrices, : il faut leur expliquer un peu les choses.

Thibault Elie : Vous avez un rôle de formation également ? (rires)

Cécilia Rose : Une formation agréée avec une hotline producteurs ! (rires)

Thomas Carillon : C’est le jeu et nous sommes tous et toutes passés·es par là. Nous avons tous posé ces questions-là avec maladresse. Je n’irai pas dans les détails. C’est compliqué comme métier, et surtout de comprendre les usages et les mœurs. Sur cet aspect collectif, c’est assez intéressant puisque le but est de faire entrer le plus de producteurs et productrices possible. Pas non plus n’importe comment, tout cela se fait avec intelligence, mais notre objectif est d’être le plus nombreux possible, que nous ayons des bureaux de réflexion, que nous puissions toujours réfléchir et essayer de nous réinventer sur ce que c’est aujourd’hui de produire un premier court métrage ou un premier long métrage.

Tout cela ne fait qu’évoluer. Il y a des réformes, il y a de nouvelles aides ou plutôt il y a moins d’aides. Il faut réfléchir à comment Préludes est un outil là-dedans, à la fois de production, de financement, de diffusion et où est-ce qu’il peut se placer à un temps en intelligence avec la conjoncture. C’est pour cela que c’est vraiment intéressant d’être plusieurs producteurs·trices, d’avoir des jeunes, des plus expérimenté·es. Tout autant des personnes qui ont vu ce qu’il s’est passé sur les vingt dernières années que d’autres qui ont juste la niaque, l’envie d’y aller et de se dire « Il faut que le système évolue pour qu’on puisse continuer à fabriquer ». Parfois, il y a les résignés aussi. C’est assez marrant de mettre tout ce beau monde autour d’une table et de voir ce qui en ressort.

Du court au long

Émile Parseghian : Au lancement de la plateforme, vous avez mentionné l’idée, à terme, de vouloir aller vers le long métrage. Sur la partie restauration, vous commencez déjà un peu à mettre les doigts dedans. Vous avez eu cet engagement sur le long métrage qui est là, dès l’origine du projet. Quelle forme est-ce que vous voudriez qu’elle prenne en tant que diffuseur, en tant que vendeur en tant que coproducteur, quelle est l’idée derrière l’entrée des longs métrages dans le modèle de Préludes ?

Thomas Carillon : L’idée est plus ou moins définie, mais elle reste vraiment à mettre en place, surtout qu’il y a une réelle fragilité dans le modèle économique actuel. Nous sommes un peu dans une période charnière où nous avons restauré nos premiers longs métrages que nous avons réussi à vendre à Cine+ pour le moment, ce qui nous fait un peu respirer. Il y a un vrai modèle économique possible dans ce sillon. Le but est que les longs métrages restaurés apportent la trésorerie nécessaire pour ensuite financer de premières œuvres de longs métrages contemporaines en préfinancement.

Notre modèle est de nous positionner sur des films qui n’ont pas encore de diffuseur et de dire : « Nous, Préludes, nous nous positionnons dessus. » Nous serons sans doute en troisième case de diffusion, ce qui laisse la place à deux autres diffuseurs, mais nous souhaitons que ces deux diffuseurs soient sensibilisés au fait que Préludes s’engage sur ce projet. Nous resterions en tant que diffuseurs. De toute façon, nous ne pouvons pas rentrer en coproduction sur les longs métrages. Ce ne sont pas les mêmes législations entre le court et le long métrage. Voilà à peu près le modèle économique, mais il faut que nous arrivions à mieux valoriser notre catalogue de films de patrimoine pour pouvoir préfinancer de premiers longs. Ce qui, à mon avis, est tout à fait atteignable. Sur la plateforme, vous avez vu qu’il y avait quelques longs métrages, mais nous en sommes au huitième long métrage en restauration, donc les choses prennent…

Thibault Elie : En fait, sur la plateforme, nous ne voyons que la face émergée de l’iceberg !

Thomas Carillon : Voilà, il y a tout un catalogue industriel qui n’est pas accessible encore officiellement.

Cécilia Rose : Par rapport au choix de faire du long métrage, il y a des contraintes différentes liées à cela, mais de la même manière que nous ne voulons pas nous limiter à de la fiction ou du documentaire, nous ne voulons pas faire que du court métrage. Nous voulons vraiment montrer de premières œuvres de long métrage. C’est quelque chose que nous avons pu faire sur les films de patrimoine. Nous avons un film en fin de restauration qui est le premier documentaire de Yolande Zoberman, Classified People et que nous pourrons bientôt montrer.

Nous sommes très souples sur les longs métrages, les courts métrages, les documentaires, les fictions et nous tenons vraiment à rester là-dessus. Après, effectivement, il y a des contraintes financières ou réglementaires sur le financement de longs métrages contemporains qui font que cela prend un peu plus de temps à se mettre en place. Mais sur la partie patrimoine, c’est quelque chose sur lequel nous sommes déjà engagés.

Thibault Elie : Est-ce que vous allez aussi, toujours dans cette optique de défricher, de trouver de nouveaux cinéastes, aider ceux que vous avez peut-être aidés du cours à aller vers le long ? Est-ce que c’est aussi votre rôle ?

Thomas Carillon : Question très intéressante et à la fois délicate parce que nous devons faire attention au côté « famille » : où une fois que nous rentrons dans la maison Préludes, nous y sommes. L’accompagnement du court au long n’était pas forcément un but en soi, mais c’est un peu déjà en train de se produire. C’est assez marrant. Il y a des cinéastes dont nous avons préacheté le premier court et des relations se créent.

Et puis, nous devenons un peu cette plateforme entre producteurs où même les cinéastes qui veulent faire leur premier long métrage nous demandent des conseils sur qui rencontrer en fonction de leur cinéma. Nous avons des producteurs qui ont vu un premier court que nous avons préacheté, qui nous disent « C’est super, est-ce qu’on peut rencontrer cette cinéaste ? » Des choses se font de manière assez informelle et ce n’était pas forcément recherché. Ce que nous voulons surtout, c’est accompagner le premier geste. Après, être toujours cet entremetteur, je trouve ça un peu délicat de se transformer ainsi : nous nous retrouvons à avoir un rôle qui n’était pas voulu.

Cécilia Rose : Sans que ce soit forcément hyper réfléchi de cette manière-là, mais d’où l’idée aussi de se constituer un collectif et de l’ouvrir de plus en plus. Si nous jouons ce rôle de plateforme et pour le public et de manière plus professionnelle, créons des synergies, mais qui soient les plus ouvertes possibles. Effectivement, ne pas rester dans un entre-soi, mais garder la maison ouverte, que ce soit pour les auteurs·trices, pour les producteurs·trices qui veulent nous rejoindre. Mais en tout cas, rester le plus ouvert possible. Et tant mieux si cela crée des synergies et tant mieux si cela permet des rencontres.

Thomas Carillon : Nous tenons à la diversité. Et la diversité dans le cinéma et la diversité d’où viennent les cinéastes. Nous tenons quand même à rester aussi sur des films internationaux, ce qui n’est pas simple. C’est pourquoi nous restons toujours ouverts au nouvel arrivant qui serait dans la démarche du premier long métrage mais que nous ne connaissons pas forcément. Sinon, nous allons nous retrouver tout le temps à être avec les mêmes. En plus, nous n’allons pas préacheter autant de longs métrages que de courts métrages. Donc, il y a un moment où…

Cécilia Rose : Et nous n’y sommes pas encore tout à fait au long métrage.

Salles et festivals

Thibault Elie : Quelles synergies avec des festivals avez-vous pu ou pourrez-vous créer pour compléter ce travail de production, de coproduction, en montrant les films aussi en salles et en festivals ?

Cécilia Rose : Nous avons noué déjà pas mal de partenariats avec des festivals de premiers films qui ont pu prendre des formes un peu diverses. Nous nous sommes interrogés sur quels types de collaboration nous pouvions mener avec eux. Nous sommes toute jeune plateforme. Pour l’instant, nous avons montré le premier long restauré de Thomas Bardinet aux Entrevues de Belfort. Ce fut la première vraie opération concrète que nous avons pu mener avec des équipes de programmation d’un festival. Évidemment, nous sommes en lien avec Angers ou avec le cinéma du Réel.

Il y a aussi une collaboration qui s’est mise en place avec un appel à projet pour des restaurations de premiers documentaires. Il y a La Rochelle qui est dans la boucle aussi sur la partie patrimoine. C’est là où nous sommes vraiment sur deux volets : le patrimoine et les premiers films « frais ». Sur le patrimoine, nous parlons avec la Cinémathèque, nous parlons avec Bologne, avec le Festival Lumière de Lyon ou encore avec Cannes Classics, tous les acteurs du cinéma de patrimoine et du premier film en somme.

Thomas Carillon : L’idée pour nous est de réussir à placer les films en festival — les films que nous restaurons — et de discuter et de nouer des relations formelles ou informelles avec ces festivals. Il y a eu Rotterdam aussi avec Mange ta soupe de Mathieu Amalric. Nous avons restauré et présenté le premier long métrage de Mia Hansen Love, Tout est pardonné à Angers. Il y a le partenariat avec Cinéma du Réel ou encore avec le FID Marseille.

Soit nous leur proposons d’eux-mêmes nous apporter un film qu’ils aimeraient revoir restauré, c’est ce qu’il s’est passé avec Angers. Soit c’est plutôt « Voilà ce que nous avons restauré, est-ce qu’il y a un film qui vous intéresse ? » Nous sommes partenaires de Côté Court où nous donnons un prix. L’idée est d’essayer de donner des prix sur de premiers films frais et de réussir à trouver une place pour chacun de nos films restaurés dans les festivals actuels, ce qui donne une sorte de rampe de lancement pour les films, pour une exploitation ultérieure.

Cécilia Rose : Sachant que sur les films que nous préachetons, nous ne faisons pas ce travail de proposer les films au festival. Ce sont vraiment les producteurs qui font ce travail de diffusion. Là où nous sommes proactifs sur la diffusion des films, c’est sur ce volet patrimoine. Par ailleurs, sur le travail que nous pouvons faire avec d’autres festivals, c’est vraiment plus de proposer une forme de label Préludes qui est “le premier film”. C’est pour cela que les partenariats que nous pouvons nouer avec les festivals prennent des formes différentes, comme à Côté Court de Pantin avec la remise d’un prix ou au Cinéma du Réel avec un appel à projets à la restauration. Il y a différentes formes avec l’idée de toujours être présent en tant que Préludes pour les premiers films, la plateforme étant la vitrine de ce label. Mais il est vrai que nous intervenons à plein d’endroits différents.

Émile Parseghian : Le court métrage de patrimoine est toujours le grand absent des festivals, que ce soit au Festival Lumière ou dans d’autres festivals de patrimoine. Comment est-ce que vous vous positionnez par rapport à ce manque ? Est-ce que, par exemple, à terme, l’édition physique de DVD de court métrage de patrimoine éventuellement avec un partenaire là-dedans, pourrait vous intéresser ? Éventuellement des ressorties salles de programme de courts métrages de futurs grands auteurs ? Comment est-ce que vous essayez de contourner un peu, ou justement, de venir remplir ce vide du court métrage des patrimoines alors que la chaîne de diffusion du long métrage de patrimoine fonctionne plutôt bien ?

Thomas Carillon : Il est quand même de plus en plus compliqué, pour la salle, pour chaque projection, sur le film de patrimoine, c’est un peu un combat, en tout cas à notre niveau à nous, Préludes. Le court métrage, pour nous, est important que cette diffusion existe. Il est important de le valoriser et de lui trouver ce type de place, c’est-à-dire un programme de court métrage que nous représenterions en plusieurs séances. Avec Préludes, nous faisons des projections, nous mélangeons des films, des courts métrages de patrimoine et des courts métrages frais pour montrer ce que Préludes fait.

C’est déjà un peu complexe et puis il n’y a vraiment pas de modèle économique là-dessus. Nos séances sont tout le temps à perte. En festival, c’est vrai qu’il y a, sur les festivals internationaux qui font du court et du long, peu voire pas de place pour les courts métrages de patrimoine qui viennent d’être restaurés. C’est une bonne question. Nous n’avons pas la réponse. Nous y travaillons un peu. Je pense que La Rochelle va nous prendre un ou deux courts : cela les intéresserait de les mettre en avant programme.

Thibault Elie : Votre offre va peut-être aussi créer de la demande pour les festivals.

Cécilia Rose : Nous manquons encore un tout petit peu de puissance pour cela. (rires) Non, mais je pense, par contre, pour avoir pas mal travaillé sur ces questions de la diffusion du patrimoine, que ce soit du long ou du court, pour le coup, nous pensons que les plateformes, de manière générale, sont venues un peu répondre à cette absence de films dans les festivals et dans les salles. Mubi a très bien fait ce travail-là. Arte aussi. Pour le coup, vraiment, l’endroit de la diffusion et de l’appétit pour les courts métrages de patrimoine, il est sur les plateformes. C’est à cet endroit-là, en tout cas, que nous pensons que Préludes a un rôle important à jouer sur la visibilité de ces films-là.

La salle, c’est compliqué pour tout. C’est de plus en plus compliqué pour les films. Nous voyons le massacre géant des films frais dans les salles de cinéma. C’est une vaste blague. Effectivement, il reste les festivals et c’est vrai qu’il y en a très peu qui montrent les courts métrages. Mais nous croyons que les plateformes, vraiment, pour cela, ont un rôle à jouer. Et il y en a beaucoup, cela, nous l’avons vu pendant le confinement, il y a eu une floraison de ces endroits-là, avec un vrai désir du public pour ces films-là.

Thibault Élie : Où voyez-vous Prélude dans cinq ans ?

Thomas Carillon : L’idéal, le fantasme serait d’être un label de premiers films qui est stable, structuré et qui permet à six premiers longs métrages de se fabriquer, qui ait un volume et un réseau qui fonctionnent. Il y a aussi une résidence d’écriture que nous sommes en train de monter. Il faut que nous nous soyons stabilisés économiquement et que nous puissions travailler à chaque étape de la fabrication d’un film ou de sa diffusion avec nos différents outils que nous aurons créés. Si nous parvenons à maintenir cela et à faire en sorte que des films naissent de cela, nous serons très contents.

Cécilia Rose : Dans cette stabilité-là, moi, je le vois un peu comme encore un lieu qui aura grandi en dynamique et en effervescence créatrice et créative. Que ce soit vraiment un endroit où les gens viennent tenter des choses et que nous puissions proposer une stabilité ou en tout cas offrir une assise qui permette cela. Que nous ayons les moyens et la sécurité d’être les défricheurs que nous avons envie d’être.

Propos recueillis par Thibault Elie, Émile Parseghian et Maxime Rodriguez.