Lauréat du Grand Prix de la sélection Diagonales de Premiers Plans d’Angers cette année, Désordres est un film qui désarçonne de bout en bout. Le film prend à rebours le genre du cinéma historique, et le détourne même en situant son action dans la vallée de Saint-Imier en Suisse. Dans le long-métrage de Cyril Schaüblin, cette localité a la particularité d’être à la fois une ville horlogère industrielle et un berceau de l’anarchisme dans la continuité de la Première Internationale. Protagoniste principal, le voyageur et cartographe Piotr Kropotkine est un étranger qui accompagne les spectateurs·trices dans la découverte de la ville. Faisant écho au travail cartographique de Kropotkine, le film tisse patiemment sa toile : le géographe souhaite établir des cartes anarchistes.
Sorti en salles le 12 avril, Désordres donne à voir d’autres manières de raconter une histoire. Rencontre avec son scénariste, réalisateur et monteur, Cyril Schaüblin.
Perspective anarchiste
Une première question rituelle : quel mot ou quelle expression vous pourriez utiliser pour définir, décrire ce que vous faites dans la vie comme activité, comme métier, comme pratique ?
Je ne sais pas s’il y a un mot, mais je crois que si on peut parler de de lieu centralisé ou monopolisé, je crois que c’est mon but est de partir et d’aller dans les marges, dans l’idée de la marge et de mettre la caméra et voir ce qu’il y a dans la marge.
Ma première question, ça concerne votre idée de départ ? Est ce que vous avez imaginé ce film à partir de la figure de Kropotkine ou plutôt de cette ville où l’on fabrique notamment des horloges ?
Non, je crois que les débuts d’un film sont toujours mystérieux. C’était une idée qui était avec moi depuis longtemps parce que je viens d’une famille horlogère. Ma grand mère et mes grandes tantes ont toutes travaillé dans une usine horlogère comme régleuse. Elles ont fait le réglage de cette pièce du balancier qui s’appelle « unrueh ». Mon grand père a travaillé là bas, mon arrière grand père était pivoteur, il fabriquait le petit axe du balancier. Je crois que cette idée était avec moi de ne pas faire un film historique, mais peut être explorer ou découvrir cet espace d’une fabrique d’horloges. Ensuite, si l’on fait des recherches sur les débuts de l’horlogerie en Suisse et sur les débuts du syndicalisme en Suisse, on va vite trouver la figure de Kropotkine et des autres Russes qui étaient ici. Oui, j’ai lu quelques livres de Kropotkine comme L’Entraide, un facteur de l’évolution (paru en 1902, NDLR), ou ses mémoires où il parle sur ses expériences en Suisse.
Je ne souhaitais pas faire un biopic sur Kropotkine, mais je savais qu’il allait faire partie du film. Donc je suis allé à Moscou il y a quelques années pour parler là-bas avec des gens sur Kropotkine. Et c’était intéressant parce que j’ai un rencontré quelqu’un qui m’a parlé d’un poète dans les débuts de la Union soviétique qui s’appelle Serge Tretiakov, qui avait cette idée qu’il faut mettre des machines dans le centre des histoires et plus des hommes, des protagonistes humains. J’ai trouvé cela très intéressant dans la façon de réfléchir sur l’idée : qu’est-ce qu’un protagoniste ? Qu’est-ce que le centre d’un film ? Aussi, dans une perspective anarchiste du XIXᵉ siècle, je ne suis pas sûr que c’était vraiment l’idée de ce mouvement de centraliser ou de se concentrer sur quelques personnes et pas un collectif. C’était aussi l’idée d’avoir Kropotkine dans le film, mais pas comme protagoniste classique.
Dans l’écriture de votre scénario, avez-vous aussi tenté aussi de déconstruire les codes habituels de l’écriture de cet objet, notamment en termes de dramaturgie ?
Désordres est mon deuxième long-métrage. Pour mon premier long-métrage, la manière de produire était beaucoup plus libre que ce deuxième film. J’avais déjà un scénario pour le premier film, mais a façon de produire et d’organiser le film était plus libertaire. Je pouvais parfois téléphoner à des amis pour leur demander s’ils souhaitaient venir jouer demain dans le film. Par contre, dans les deux films, je ne voulais pas créer une langue écrite. Les gens ou les acteurs doivent s’ajuster à ce que ça donne. L’idée était d’inviter une langue qui est déjà parlée sur les rues, dans les bus, dans les trams, dans l’espace public et d’avoir cette langue dans le film.
Pour mon premier film, c’était beaucoup plus simple parce que c’était dans le présent. Mais pour mon deuxième film, c’était un peu plus compliqué parce que déjà, j’ai aussi travaillé qu’avec des amis ou des des acteurs non professionnels, et de surcroît parce que c’était un film historique et qu’iil fallait organiser les costumes et les décors en adéquation. Je devais payer beaucoup plus d’attention sur le scénario parce que je savais que si j’écrivais qu’il y avait une station télégraphique, mon équipe allait travailler à ce que cette station télégraphique existe dans le film. Je devais donc vraiment écrire un scénario avec des lieux, des personnages et des dialogues.
Même s’il y avait ces séquences dans le scénario, pour moi, c’était plutôt peut être des ingrédients pour une situation, quelque chose de plus dynamique. En un sens, j’ai aussi été inspiré par Guy Debord et le situationnisme : l’idée était d’inviter des choses et puis jouer avec ce qu’on a le jour où l’on va tourner. C’était aussi une façon de dire « on ne sait pas tout » et d’inviter peut être un savoir n’est ni le mien, qui vient d’ailleurs en quelque sorte, qui ne viendrait du savoir d’un film ou d’un scénario. Par exemple, moi-même, je ne pourrais pas écrire un dialogue entre des ouvrières horlogères et leur patron dans l’atelier, même si je viens d’une famille horlogère, je n’ai pas toutes les connaissances techniques. À l’écriture, nous avons travaillé avec des personnes qui avaient ce savoir. L’enjeu était de trouver cette langue qui est déjà parlée là-bas et de pas inventer quelque chose.
Est-ce que c’est un travail d’écriture que vous avez continué ensuite avec vos acteurs et vos actrices pour faire évoluer les dialogues sur le plateau ?
Ça dépend des dialogues. Par exemple, il y a ce dialogue entre cette ouvrière, Joséphine, et Kropotkine, où elle explique en détail son travail. Ce n’était pas vraiment moi qui aie écrit ce dialogue, parce que Clara Gostynski, qui joue Jospéphine n’est pas une actrice : elle est architecte. Elle en sait plus que moi sur les machines, je crois. Clara a passé avec deux jours avec une vraie horlogère qui lui a expliqué le travail d’une régleuse qui produit le balancier, le cœur de la montre et qui en fait le réglage. Je n’étais même pas là lors de cette rencontre. Elles ont passé tout ce temps ensemble et puis elle a vraiment compris comment ce travail se déroule.
Par exemple, la scène où les gens vont voter et les ouvriers sont exclus de voter. Là, par exemple, j’ai rencontré ceux qui jouent les deux gendarmes le matin même. Dans la vie, l’un est paysan et l’autre est charpentier. Ils sont venus mais ils n’avaient jamais joué dans un film. Idem pour les deux ouvriers exclus, ils sont incarnés par un syndicaliste et un horloger et eux nous plus n’avaient jamais joué dans un film. C’est une forme d’expérimentation : on s’est rencontrés dans le matin, ils ont mis les costumes, et puis ils ont fait le dialogue. L’idée était aussi de reproduire des tensions qui sont déjà là auprès des gens, même aujourd’hui. C’est un film historique, mais qui parle de notre époque aussi. Le travail était peut être reproduire quelques énergies ou tensions qui sont déjà là.
Être ouvert au passé
Ce qui est surprenant dans votre film en terme spatial et géographique est sans doute la manière dont vous travaillez sur les décors et la navigation entre les différents lieux de la ville. Et comme le film parle de cartographie, de la fabrication des cartes, comment est ce que vous avez travaillé à l’écriture, au tournage et au montage cette circulation dans l’espace ?
Je crois que depuis le début du scénario, on a beaucoup parlé du fait qu’il était impossible de faire un film historique, parce qu’on ne peut pas vraiment montrer le passé, comment c’était. Ce sera toujours une construction. En fait, comme tous les films, ce ne sont jamais des réalités. C’est peut être une construction de la réalité et je crois que surtout avec un film historique, c’est le cas. Cela s’apparente aux problèmes de l’historiographie même toujours : il y a toujours un choix qui est fait dans les informations. Ce qui peut faire le choix des informations du passé peut aussi définir le présent. C’est aussi une question de pouvoir.
Avec les décors et les images, l’idée était de montrer ou d’être transparent avec cette question sur le passé, qu’on va montrer que c’est une construction et qu’on ne va pas essayer de séduire les gens et dire « Maintenant, on va entrer dans le XIXᵉ siècle », mais que c’est quelque chose construit, un film, et aussi surtout un film sur le passé. On est allés là-bas, à Saint-Imier et dans tout le vallon. Peut-être que c’était aussi une manière d’écouter et de ne pas définir ces espaces et essayer de trouver des images qui permettent d’être ouvert au passé.
Faire un film historique peut être lourd ou difficile en termes de production et de mise en scène puisque vous avez un travail de reconstitution à réaliser sur le plateau de tournage. Comment est ce que vous avez travaillé par rapport à cela pour peut être vous défaire de ce « genre historique » ?
Je savais que cela pouvait être lourd, et, mais c’était aussi pour ça que c’était très important de travailler avec des gens qui ne sont pas des acteurs. J’imaginais que même dans le XIXᵉ siècle, on devrait avoir une vie quotidienne. La manière où les gens se sont rencontrés sur la rue dans le matin, dans une poste, dans une fabrique, les moments marginalisés de l’histoire. C’était très important pour moi de trouver cette ambiance d’un quotidien marginalisé, pas important, même si on travaille avec les costumes et les décors historiques.
Qu’est-ce que cela change ou apporte pour vous de travailler avec des acteurs dont ce n’est pas le métier, c’est-à-dire des acteurs non professionnels ?
Je ne fais pas de casting, je vais rencontrer des gens : la moitié des gens dans mes films, ce sont mes amis qui vivent à Zurich, mais l’autre moitié, ce sont des gens de cette région, par exemple des horlogers ou des syndicalistes. Mais avant le film, avant le tournage, j’ai rencontré toutes les personnes, on a bu du café ou des bières, on a échangé des livres, on a parlé un peu sur tout. Pour moi, ce que je voulais ou le désir, c’était qu’ils soient dans le film comme les gens qui sont déjà à l’intérieur du film, qu’ils continuent à parler la langue qu’ils parlent à l’intérieur du film.
Ne pas cacher la technologie
À propos de votre mise en scène, vous avez une façon de cadrer des plans fixes de loin, à la longue focale, mais en laissant apparaître des plans larges ou des plans de demi-ensemble ou des plans rapprochés. Est ce que vous avez souhaité, avec votre mise en scène, votre cadrage, aller contre une forme de naturalisme dans le cinéma ?
Non, je ne dirais pas ça. Pour moi, c’est toujours une question de représentation. Le cinéma, c’est un cadre et la question qui peut entrer, qui ne peut pas entrer, qui définit le cadre. C’est très proche, je crois, de comment fonctionne la machine de la société aussi, qui peut dire « Ces gens peuvent être là et ces gens ne peuvent pas être là. » Je crois que travailler comme ça, avec des plans statiques ou de très loin, pour moi, c’est aussi une manière d’être transparent avec cette machine qu’on travaille avec, la machine de la caméra, et de ne pas cacher la technologie.
Est-ce que cadrer de cette façon c’est aussi pour donner plus de liberté en éloignant la caméra des acteurs ?
Oui, bien sûr. Parfois, elles ne savent même pas qu’on va tourner ou quelque chose comme ça. On est très loin, on est parfois 200 mètres ou 300 mètres. Moi, je dois courir jusqu’à eux, je parle avec eux et puis je disparais. Bien sûr, si on travaille avec les gens qui n’ont jamais joué dans un film, on ne travaille même pas non plus avec de la lumière artificielle. Il n’y a que le son qui est là, mais même la prise de son se fait de loin et nous cachons les microphones. C’est presque si l’équipe de tournage n’était pas là.
Vous ne dites pas ce que vous cadrez aux acteurs ? Vous ne dites pas ce qui va être dans le champ ou ce qui va être hors champ quand vous tournez, quand vous ne tournez pas ?
Ils savent quand on va tourner. Ça, c’est important pour moi. Mais ils ne savent pas s’ils sont dans le champ ou pas. Parce que pour ce film, même si je déteste ça, il fallait bloquer les rues parce qu’il y avait beaucoup de voitures et de trafic routier. Il fallait donc qu’ils savent quand on tourne. Mais le reste était mystérieux je crois.
Comment travaillez-vous le son ? Est ce que vous êtes simplement dans une captation des voix ou est ce que vous vous intéressez aussi à tout l’environnement sonore de la ville ou de la forêt, puisque vous filmez aussi la forêt ?
Il y a eu tout ce travail de construction sonore que ce soit pour l’espace d’une ville dans le XIXᵉ siècle mais aussi la forêt. À propos des voix, surtout en Suisse allemande, c’est souvent le cas que parce que ce n’est pas l’Allemand officiel, non. C’est souvent le cas que les gens essaient d’articuler très précisément ce qu’ils disent. Pour moi, c’était très important de dire aux gens « Vous pouvez parler comme ça. »
Être humain et capitalisme
Est ce que votre manière de tourner, qui est plus du côté de l’observation peut être, est ce que pour vous, ça s’approche du travail que pourrait faire un réalisateur de films documentaires ?
Je ne crois pas que cette distinction de faire séparer l’idée de fiction et documentaire, je ne suis pas sûr que ça existe vraiment. Je crois que tous les films sont une construction. Je ne pense même pas qu’il y ait un genre qui s’appelle documentaire. Ce que je cherche c’est l’être humain dans ce système capitaliste. Si on parle ensemble dans un bus ou sur une place publique, ce n’est pas « scripté », ce n’est pas un dialogue qui a été écrit par quelqu’un. La langue nous parle, on ne parle pas la langue. Si je fais un film, j’essaie de reproduire mes propres expériences, ce que je vois avec mes amis, avec les gens que j’aime, les gens que je vois dans la ville. C’est ça que je fais ou que j’essaie de faire, en dehors des idées de genre, de documentaire ou de fiction. J’essaie d’aller là-bas.
Le montage, c’est aussi la construction du film, établir la longueur des plans et des séquences, parfois changer la construction préétablie à l’écriture et au tournage. Comment est-ce que vous travaillez au montage ?
Le montage est sans doute mon travail favori de la création d’un film. Pour moi, c’est très simple : tout est déjà là et je dois simplement suivre. Le montage final est aussi très proche du scénario. Comme c’est « déjà là », je dois justement aider, mais sans trop y penser. Ce n’est même pas travailler, c’est justement aider les moments d’être ensemble. Pour moi, c’est comme s’il n’y avait pas vraiment d’options : tout est très clair.
Est-ce que vous avez l’impression d’avoir fait un film anarchiste ?
Je crois que le terme « anarchiste » n’est pas vraiment défini et c’est une raison qui font que je suis très amoureux de l’anarchisme. Je ne crois pas qu’il y a quelqu’un qui peut dire « Moi, je fais ça, et c’est ça l’anarchisme. C’est toujours une question de la personne qui a une idée de l’anarchisme. Mais je crois qu’il y a quelques principes dans l’histoire de l’anarchisme qui m’ont touché beaucoup, comme l’idée de décentraliser. Et je crois que cette idée de penser, de se décentrer et d’aller vers les marges est très importante pour moi. Essayer d’aller dans les marges en tout cas, mais je ne sais pas si c’est vraiment possible. Il faut déjà se poser la question, c’est quoi le centre et c’est quoi les marges ? Qui a le pouvoir de définir le centre et les marges ? Et quand on va parler de ça, de cette question dans un film, peut être que ça, c’est un peu anarchiste.
Vous avez parlé de Guy Debord, mais il y a une longue tradition de cinéastes et théoriciens, organisés sous forme de collectifs ou non, qui ont réfléchi aux possibilités de cet autre cinéma. Est-ce que ces autres manières de penser le cinéma vous inspirent ? Et si oui, quels sont les cinéastes ou les collectifs qui ont pu vous inspirer de ce point de vue là ?
Peut être que je suis plus inspiré par des poètes, par des peintres ou par mes amis que par le cinéma (rires). Le cinéma que j’adore le plus se situe dans les débuts du cinéma, quand ce n’était pas vraiment défini, peut-être qu’il n’y avait pas même vraiment de genres dans les années 10 ou 20 du siècle dernier. J’aime beaucoup aller voir les débuts du cinéma allemand ou japonais par exemple. Mais dans le cinéma plus récent, il y a par exemple le dernier film de James Benning que j’ai vu à Berlin, Allensworth.
Ne pas trop définir
Qu’est ce que vous aimez chez James Benning ?
Il a été l’un de mes professeurs lors de mes études de cinéma. J’ai aussi eu Lav Diaz en professeur, et c’est justement ces personnes que j’ai rencontrés qui m’ont peut être donné des idées, qui m’ont fait penser sur le cinéma, comment faire du cinéma. Dans Allensworth, James Benning pose la question : qu’est-ce que c’est de faire un film ? Qui est la personne qui fait le film et qui fait quelque chose sur le monde ? Qui sont les gens qui vont au cinéma et puis vont regarder le film ? Et aussi, les gens qui voient le film ou qui regardent le film font quelque chose avec le film, avec leurs propres expériences et savoirs.
Chez James Benning, j’aime beaucoup le fait que moi-même je vais faire partie de la construction du film, de faire le film avec ce qu’est le film. Parce que je dois partager moi-même avec le film. Je crois qu’on vit dans un monde qui devient de plus en plus défini. Il y a ce mot en allemand qui correspondrait bien « eindeutig » : il y a de plus en plus un sens et pas plusieurs sens sur les choses. Je crois que oui, je crois que le cinéma peut être un espace où l’on comprend que les choses ne sont pas trop définies, qu’on peut encore produire le monde collectivement ou quelque chose comme ça.
Quels sont vos prochains projets de films ?
Je travaille sur mon troisième long métrage qui se passera également en Suisse. C’est un film qui se déroulera dans le futur et montra une rencontre entre les Américains et les Chinois en Suisse.
C’est un film d’anticipation ?
Je vais même poser la question de la construction d’un espace qui est le territoire d’une nation. Parce que je crois que l’idée de la nation va disparaître et doit disparaître. La question est de savoir comment on essaie de définir par un film, mettons, on est en Suisse, en Chine ou aux États-Unis, et essayer de faire disparaître l’identité d’un espace. On ne saura plus où on est.
D’accord. C’est drôle ce que vous dites sur la notion de nation, puisque c’est quelque chose qui pourrait disparaître, alors qu’au contraire, c’est quelque chose qui revient beaucoup aujourd’hui dans des sens plus ou moins positifs, comme en Ukraine où il y a une nation qui est en train de se créer dans la guerre et des nationalismes en Europe ou ailleurs dans le monde, en Chine par exemple. C’est drôle que vous souhaitiez sa disparition alors que c’est quelque chose qui revient depuis le début, depuis 10 ou 15 ans.
Oui, je crois justement que c’est un concept très jeune, qui ne va pas rester parce que je crois que finalement, ce qu’on appelle la réalité des gens, on ne partage pas notre expérience d’être ici sur le monde, d’être vivant. En France, il y a 65 millions d’habitants, mais on partage cette expérience avec peut être 100 ou 200 personnes, finalement, non ? Nos collègues de travail, les gens qu’on connaît, des voisins, de la famille, des amis. Et je crois ça aussi dans l’avenir avec nos moyens technologiques, ça va être cette idée d’une réalité vécue. Finalement beaucoup plus importante qu’une construction à l’échelle nationale. Dans l’histoire, je crois que cette idée de l’entraide, par exemple des syndicats anarchistes en Suisse, et comparé avec les idées nationalistes ou capitalistes, finalement, le nationalisme était beaucoup plus dangereux pour les gens que les idées anarchistes, par exemple. Je crois qu’on va comprendre cela.
Propos recueillis par Thibault Elie.