Eric Miot est délégué général du Arras Film Festival, un festival de cinéma qui a lieu dans la film éponyme durant deux semaines au mois de novembre. La rédaction de NÉGATIF suit le festival depuis 2019 (le festival avait été annulé en 2020). Cette année a lieu la 23ᵉ édition proposant en tout 293 projections pour 110 films, des dizaines d’invités et une variété de sélections : des films grand public en avant-première, des films pour les enfants, une compétition de films européens ou encore des rétrospectives.
Le regard tourné vers l’Est
En quelques mots, en plus de ce que j’ai dit, comment est ce que vous pourriez présenter la race film Festival à quelqu’un qui n’en aurait jamais entendu parler?
L’Arras Film Festival est né d’un grand désir de cinéma. C’est gérer un événement qui s’adresse à tous les publics. Chaque spectateur peut trouver dans le choix des films, dans la programmation quelque chose qui est en accord avec ses goûts et ses envies… Même si je crois que c’est aussi un grand lieu de curiosité, qu’il ne faut pas hésiter à passer le pas et à franchir. C’est d’abord un événement qui est consacré au cinéma européen, les films que nous présentons sont à 95 % des films européens. Le festival est aussi très orienté Europe de l’Est pour un certain nombre de films, c’est un peu notre spécificité. S’adresse à tous les publics c’est aussi accueillir des spectateurs, comme on l’a vu, du plus petit au plus grand, au cinéphile exigeant mais aussi à l’amateur de cinéma. C’est un grand lieu de découverte qui privilégie aussi le partage dans la salle avec d’autres spectateurs et question de la rencontre. Pour nous ce qui est essentiel c’est que les spectateurs puissent rencontrer aussi bien ceux qui font les films : acteurs et actrices, réalisateurs et réalisatrices.
Une des spécificités, comme vous l’avez dit, voire une spécialité du festival, est la programmation sur les pays de l’est de l’Europe. Pourquoi cet amour de ces filmographies ?
Très vite, nous voulions travailler sur le cinéma européen. On a commencé à avoir beaucoup de films européens. En découvrant les films européens, on a découvert bien sûr ceux d’Europe de l’Est et on a découvert des films qui nous plaisaient plutôt. On était un peu surpris parce qu’il y avait un peu tous les genres. Ce n’était pas toujours la caricature qu’on peut faire du « film d’Europe de l’Est ». On a vite mis beaucoup de ces films dans nos sélections, ce qu’on appelait au démarrage du festival « Inédits d’Europe «. On s’est rendu compte que les spectateurs du festival aimaient beaucoup ces films. On a été plutôt encouragés par le public finalement. Deux choses nous ont en raison : d’un côté, le public, parce qu’il y avait un intérêt, c’étaient les séances qui étaient souvent très remplies. Et puis après je crois que c’est aussi un créneau à prendre, on ne l’a pas cherché, mais très peu de festivals s’orientent dans cette direction-là. On a pris une place qui n’était pas occupée en fait et avec avec un nombre de films suffisant pour que ce soit cohérent.
Vous avez construit aussi votre compétition aussi autour de ces films d’Europe de l’Est.
C’est un peu la même chose. Quand on cherche les films en compétition, on est fort sollicités par les producteurs ou les organismes qui défendent le cinéma d’Europe de l’Est. Cela explique que dans la compétition, il y a beaucoup de films originaires de ces pays-là. Sachant aussi que comme il n’y a pas d’événement concurrent, il est plus facile pour nous d’y accéder parce que les films sont présentés en première française. Par exemple, c’est plus compliqué d’avoir un film italien ou un film espagnol parce qu’il y a plein d’événements en France qui présentent aussi ces films. Cette direction vers l’Europe de l’Est donne un peu le ton et l’identité du festival en même temps.
Comment se prépare votre travail de sélection ? Est-ce que l’année qui précède le festival vous allez dans des festivals en Europe de l’Est ? Est-ce que vous recevez directement les films ?
C’est un peu un mix. Traditionnellement, la sélection du festival commence au marché du film de Berlin,l’European Film Market. Comme son nom l’indique, il est très orienté Europe, tous pays confondus. Historiquement, l’Allemagne a toujours été aussi tournée vers l’Europe de l’Est, beaucoup plus que la France par exemple. C’est un lieu où l’on peut vraiment commencer à réfléchir à notre programmation. Pas spécialement voir les films, en tout cas voir quels sont les projets qui seront prêts sur la période qui va nous intéresser, c’est-à-dire été/septembre. Effectivement, on a aussi des rendez-vous de festivals en Europe de l’Est où l’on va, comme le festival de Karlovy Vary en République tchèque, Cluj-Napoca, en Roumanie. Cette année, Nadia Paschetto, la directrice de notre festival, avait invitée au festival de Pula en Croatie. Ça faisait longtemps qu’ils voulaient nous inviter parce qu’on est fort sollicité pour participer à ces événements.
Face à cette profusion de propositions, quels sont vos critères pour choisir et construire vos différentes sélections ?
Le premier critère, c’est qu’on aime bien des films qui racontent des histoires, qui s’intéressent à l’humain et à la société aussi. Il y a un regard très sociétal à travers les films, un peu l’Histoire aussi parce que c’est aussi l’une des marques de fabrique du festival que de présenter beaucoup de films liés à l’histoire. Après, on fait attention à l’équilibre entre pays : par exemple, on ne va pas mettre trois films roumains. Voilà, En plus, en fonction des coups de cœur, il y a des négociations qui peuvent aboutir justement à une présentation au festival.
Retrouver le public en salle
Après une édition annulée en 2020, le festival a repris en 2021 et continue cette année en 2022. Nous avons vu que la période du Covid et du post-covid ont modifié les habitudes en salle un peu partout dans le monde et en France en particulier. Le public est-il au rendez vous de cette nouvelle édition?
Oui. En tout cas, on a quand même une édition 2021 qui avait du sens, même si elle était particulièrement complexe dans le sens où il fallait un passeport sanitaire, il fallait un masque et il fallait être vacciné. Mais on avait trouvé un vrai désir du public. C’est vrai que l’objectif en 2022 était de regagner ce public de ceux qui n’étaient pas venus depuis 2019. Et on peut effectivement constater qu’il y a eu un retour en force du public avec beaucoup de monde dans les salles, un vrai désir, une vraie curiosité. Ils sont revenus alors qu’ils n’étaient peut être pas revenus en 2021. Il y a une belle édition et je pense qu’on est sur de bonnes perspectives, c’est-à-dire des résultats. On atteindra peut-être pas le chiffre record de 2019, mais on sera en tout cas sur une très belle édition en termes de chiffres.
Pensez-vous que les festivals résistent mieux que les sorties de cinéma?
Oui, globalement. Je ne sais pas pourquoi. C’est peut être le caractère événementiel et l’éditorialisation qui aident. J’ai l’impression que l’un des grands problèmes du public, on en parle, on parle des tarifs, on parle du public des habitués au cinéma ou encore de la concurrence des plateformes. Mais il y a aussi d’autres éléments qui peuvent peuvent jouer pour pour attirer le public en salle. À ce sujet, l’éditorialisation un élément important parce que j’ai l’impression que aujourd’hui le spectateur est un peu perdu. C’est pour cela que les salles art et essai résistent bien aussi. Il y a tellement de films qui sortent, mais partout ! Il y a ceux qui sortent en salle et un peu des confusions. Quand un film sort sur plateforme, on ne sait plus, puisqu’en fait les plateformes imitent la sortie salle.
Ce qui fait que dans la tête du spectateur, c’est difficile parfois de se retrouver. Les festivals sont quand même un bon guide pour le spectateur puisqu’il y a un choix qui est fait pour lui : il y a une éditorialisation. Il sait à peu près quel type de film il va pouvoir voir et tout cela contribue, je crois, au succès des festivals qui peuvent être un moteur pour recréer une dynamique aussi, pour ramener le spectateur vers la salle. L’objectif doit être de se demander : comment peut-on réussir à regagner cette idée de fréquenter régulièrement un cinéma à partir du moment où on peut venir à un événement comme le nôtre ? Et puis d’un seul coup, retrouver peut être le plaisir de la salle. Le problème aujourd’hui est celui de la fréquence. C’est à dire, aujourd’hui, il y a des films qui marchent très bien, il y en a qui marchent pas du tout et surtout il y a une déshabitude des spectateurs.
Les gens ont « décroché » de la salle.
Oui, c’est ça. Mais on constate depuis le mois de septembre un retour de ce type de public. Petit à petit, ils reprennent le chemin de la salle. Nous, on le voit par rapport à nos abonnements, à nos adhésions par exemple. On peut adhérer à notre association et l’adhésion offre aussi des tarifs dans les cinémas, notamment ici à Arras, mais dans d’autres cinémas aussi. Et on constate depuis le mois de septembre un retour de gens qui n’avaient plus pris d’adhésion depuis 2019, au moins depuis le début de la crise du Covid.
Spectateurs et territoire
Est ce que vous savez si votre public est essentiellement de la ville d’Arras, et des alentours — donc des spectateurs plutôt locaux — ou est ce que vous attirez également un public plus large? Géographiquement, Arras, c’est entre Lille et Paris, vous êtes reliés par la TGV mais aussi dans une région avec d’autres festivals d’envergure.
Alors je ne peux pas me baser sur les chiffres de 2021 ou 2022. Aujourd’hui, on est en train de refaire une enquête pour l’édition 2022 afin de voir d’où viennent nos spectateurs. Mais si on se base sur l’année 2019, on est autour de 60 % de public local. Quand je dis local, c’est Arras et communauté urbaine d’Arras. Ensuite, les autres 40 % viennent de de la région Hauts-de-France pour une grande partie, et pour l’autre partie 12 % du total qui venaient de l’extérieur, c’est-à-dire hors région Île-de-France. Parmi les gens avec qui j’ai pu converser, il y a des gens qui viennent de la Creuse, il y a des gens qui viennent de Bretagne, il y a des gens qui viennent de la Bourgogne et il y a pas mal de gens qui viennent de Paris aussi. Les gens venant de Lille, je dirais que c’est un peu plus faible. Ça ne devrait pas. L’une des priorités pour nous, ce sera de convaincre les Lillois de venir un peu plus au festivals Parce que parfois on se rend compte qu’il y a quasiment autant de Parisiens que de Lillois.
Plan Séquence, l’association dont vous avez parlé, intervient à l’année, sur le territoire, avec un travail vers différents publics, notamment les plus jeunes. Comment s’organisent ces actions au long cours ?
II y a deux types d’actions. Dans la foulée du festival, il y a ce qu’on appelle le festival off. Pendant les quatre semaines qui suivent le festival, il y a plein de salles qui vont reprendre des films du festival. Cela représente quand même plus d’une trentaine de salles sur toute la région. Après, on a des rendez-vous négociés avec les cinémas, des rendez-vous ponctuels soit en direction du jeune public : les « Ciné-junior » avec des ciné-goûters et des premières séances. Le deuxième volet de l’activité est consacrée aux classiques du cinéma. Parce que l’éducation passe par le cinéma de patrimoine et on a noué des partenariats forts avec, par exemple l’université d’Artois, mais aussi avec des cinémas. Je pense à Lille, au cycle « Mes films de chevet ». C’est un rendez vous tous les six semaines qui permet de redécouvrir des classiques ou des films qui sont souvent en version restaurée. Depuis la crise du covid, on constate que le public est rajeuni. Lorsqu’on a regardé les dernières séances d’octobre, que ce soit à Douai, à Arras ou ou à Lille, on a toujours beaucoup de jeunes, étudiants ou plus jeunes, qui viennent, et ça c’est plutôt encourageant.
Ces jeunes, ce sont des étudiants en cinéma ou votre public jeune est plus large que cela ?
Oui, c’est plus large. Mais c’est vrai que les étudiants en cinéma représentent une priorité. Après sur Arras ou sur Douai c’est plus large parce que c’est plutôt des juristes. Par exemple, on a réussi à mettre en place un cycle consacré qu’on appelle le « Ciné-droit » : on les amène à voir des films par le biais de thématiques et on a souvent leurs enseignants qui interviennent. Il y a toujours un point de vue cinéma et il y a un point de vue plus juridique sur le sur le film. Cela les amène à découvrir des films aussi qu’ils n’auraient peut être pas été voir en salles.
Plateforme de coproduction
Le lien avec le territoire de la ville d’Arras et du pays d’Artois s’articule aussi autour des « Arras Days », une plateforme pour aider à lancer les films de demain. Quelle place ont pris les « Arras Days » dans la dynamique du festival cette année ?
En 2022, on a pris une orientation de développer. Cela fait une dizaine d’années que la plateforme existe. Il y a à peu près 50% des films qui sont réalisés sur tous les projets présentés, ce qui est quand même beaucoup. Quand je dis réalisé, c’est souvent des films qui ont une certaine renommée : on les retrouve à Berlin, on les retrouve à Venise, on les retrouve quand même dans des grands festivals et parfois ils ont même des prix, ce qui est plutôt encourageant. L’idée était non seulement d’apporter des aides aux films, à leur réalisation et au montage du projet. Ce ne sont pas des projets aboutis, ils sont encore à l’écriture.
Désormais, on a mis en avant l’aspect plateforme de coproduction : on essaie qu’un maximum de producteurs ou de responsables de festivals, éventuellement de plateformes, viennent écouter ces projets pour que cela débouche soit sur des coproductions, soit sur des sélections dans des festivals ou des plateformes, voire des distributeurs. On veut faire d’Arras une vraie plateforme de coproduction. Un marché, ça me semble un peu ambitieux parce qu’il y a déjà tellement de marché en France notamment, je pense à Cannes. En tout cas, aller dans le sens d’un vrai rendez-vous pour les professionnels européens. Cette année, on voit qu’on accueille des Croates, des Slovènes et il y a pas mal de producteurs français ou belges. Cela favorise le développement du festival qui va devenir une courroie d’entraînement.
Dans les différentes sélections, vous aimez bien montrer les films qui ont été tournés dans la région, notamment à Arras, comme par exemple cette année La guerre des Lulu (lire notre critique ici). Quelle place laissez-vous dans les différentes sélections aux films émergents ? De nouveaux auteurs qui notamment tournés dans la région ?
De manière générale, il y a beaucoup de premiers films dans la sélection, dans les sélections européennes notamment, y compris des films de réalisatrices. D’ailleurs, on l’a toujours fait. Ce n’est pas une recherche ou un objectif. Quand on regarde un film, on ne cherche pas spécialement à savoir si un homme ou une femme qu’il a fait. Si on le sait, on le voit tout de suite, mais parfois on voit un film et on le remarque après coup. Je ne sais pas si nous mettons en avant beaucoup réalisateurs émergents de la région puisque ce sont des gens assez reconnus. Notre travail est plutôt mettre en évidence ou en valeur la production consacrée aux longs-métrages qui se fait dans notre région. Parce que je crois, je crois que c’est une chaîne. C’est bien de produire, mais c’est aussi bien que les habitants qui ont contribué à financer finalement ces films puissent aussi voir les films.
Dans la production cinématographique en France, les régions sont très importantes, ce sont souvent les premiers soutiens des films.
Il y a un organisme qui est lié à la région Hauts-de-France, Pictanovo, qui intervient justement dans l’aide à l’écriture, l’aide aux projets émergents et dans la production de films. Nous parlons d’une sélection de films réalisés par des auteurs assez connus comme Laetitia Masson, ou des films peut être parfois plus populaires ou un peu plus pointus. On ne cherche pas non plus systématiquement à les sélectionner : on nous les propose, on les regarde, ils nous plaisent, et je pense qu’on a un regard plus attentif sur des films produits en région que sur d’autre pour les raisons que j’ai évoquées.
Allez-vous aussi chercher aussi les courts métrages de nouveaux auteurs qui ont été financés dans la région et tournés dans la région?
On n’a pas de section court métrage, volontairement, parce que je pense qu’on ne peut pas tout faire. Sur ce créneau, il existe un travail fait par d’autres festivals en région, notamment les Rencontres audiovisuelles de Lille ou la section court-métrage de Valenciennes. En revanche, nous avons organisé une table ronde autour du passage du court au long-métrage. Le festival veut aide et intervenir sur ce domaine parce qu’il y a beaucoup de réalisateurs qui ont du mal de passer du court au long. Ils ont parfois fait plusieurs courts et même s’ils ont eu une certaine renommée, passer au long-métrage c’est notre aventure avec des moyens supérieurs.
Le festival est établi depuis de nombreuses années. Vous avez construit une vraie identité avec des sélections très ancrées, abouties dans leurs sélections. Comment est-ce que vous voyez le festival dans cinq ans?
Je ne sais pas si je serais encore là dans cinq ans, parce qu’à un moment il faut penser aussi à la succession et à qui prendra l’héritage du festival. Mais je pense que lorsqu’on regarde comment à la fois les artistes, le public… il s’y passe quelque chose de magique, il faut absolument le garder. Après, je ne sais pas ce qu’on en fera, mais je crois que ça doit rester un moment fort. Le festival doit garder cette qualité mais aussi cette idée de proximité. Il n’est pas facile de trouver un équilibre entre un certain professionnalisme et une proximité avec le public. C’est un exercice de corde raide et j’espère que le festival dans cinq ans, aura à la fois gardé cette dimension et qu’il sera aussi un grand rendez-vous professionnel européen. Parce que je crois que les deux vont ensemble. D’un côté il y a le public, mais si on avance en parallèle avec les professionnels, je crois qu’un festival, c’est ça. Il faut trouver cet équilibre entre les deux. L’un ne va pas sans l’autre et que l’un entraîne l’autre. C’est cela qu’il faut qu’on arrive à maintenir dans dans les cinq prochaines années.