Malheureusement, le cinéma « jeune public » est lui aussi pavé de bonnes intentions. Dans sa Guerre des Lulus, Yann Samuell — réalisateur habitué des films pour enfants à grand spectacle (La guerre des boutons en 2011) — raconte les aventures de cinq gosses (quatre garçons, une fille) traversant le début de la Première Guerre mondiale dans le nord de la France. Le scénario adapté par le réalisateur lui-même est tiré des premiers tomes de la BD éponyme de Régis Hautière et Hardoc. Alors que la sortie du film est prévue en salles le 18 janvier 2023, l’équipe a déjà entamé sa tournée d’avant-premières.
Offrant une sélection souvent réussie de films pour les plus petits, Arras Film Festival ne pouvait passer à côté de ce film tourné dans la région. La séance scolaire réunissait dans une ambiance chaleureuse (quelque part entre le match de MMA et un concert d’Henri Dès) plusieurs centaines d’élèves dans l’immense salle du « Casino » du centre-ville. Auréolé d’un statut de « film pédagogique », dossier à destination des instituteurs en poche, le résultat aurait logiquement dû être exemplaire. Or, l’ampleur de la débâcle dépasse les simples maladresses d’un projet assurément trop ambitieux (près de neuf millions d’euros engloutis).
Le film ne pêche pas dans ses intentions — louables, nous y reviendrons — mais dans l’exécution d’à peu près tout ce qu’il était possible de rater dans un film de cinéma. Loin de la sobriété indispensable à ce type de projet, Yann Samuell et son équipe technique déploient une débauche de moyens. Les absurdités scénaristiques sont exacerbées par un manque de cohérence dans la direction artistique. Et cela est loin de donner l’aspect « cartoon » qui aurait pu rappeler l’univers graphique de la bande-dessinée. Dans la collection de décors grandioses (l’orphelinat, le village, les tranchées, la familistière de Guise), seule la forêt garde parfois de sa magie, comme un îlot merveilleux et utopique protégé des horreurs de la guerre.
Visuellement, La Guerre des Lulus déçoit ou nous donne le tournis. Entre les mouvements de caméra superflus et la ribambelle de plans en contre-plongée à hauteur d’escargot, nous frôlons systématiquement l’indigestion. Pire encore, le sur-éclairage et l’étalonnage des couleurs aplatissant l’image en mono-teintes (au choix, bleue ou jaune). Les premières séquences dans le monastère laissaient même à penser à un problème dans les réglages techniques du projecteur de la salle. L’ensemble de ces choix techniques et artistiques ne rendent pas hommage à la beauté des paysages du Nord de la France dans lesquels le film a été tourné durant près de quatre mois.
Les cinq gamins qui composent le casting principal ont du mal à tenir le rythme et leur performance en devient inégale sur l’ensemble du film — à l’exception de Ludwig (Léonard Fauquet), l’intello de la bande. Difficile de les blâmer individuellement tant nous sommes médusés par la faiblesse des dialogues comme par la trajectoire de leurs personnages respectifs dans le scénario. Les seules séquences à sauver sont peut-être celles du début avec l’ensemble des enfants de l’orphelinat. Notre attention était alors diluée dans le chaos des bagarres des gamins. Relativisons encore : le jeu encore plus médiocre des adultes (Isabelle Carré, Didier Bourdon , François Damiens, Alex Lutz, Ahmed Sylla) n’a sans doute pas aidé les enfants à s’améliorer sur le plateau de tournage.
Là aussi, les torts ne sont pas dirigés uniquement vers les comédiens, peu inspirés, mais vers les dialogues sans finesse et la direction d’acteur erratique, absente ou tout simplement en décalage avec le ton des séquences comme avec les enjeux du scénario. Quand plus de huit cents gamins rient aux éclats lorsqu’une mère (Isabelle Carré) apprend la mort de son enfant tombé au combat, on se demande si c’est le jeu d’actrice qui est en cause ou bien la place de caméra, qui semble être toujours au moment endroit au mauvais moment. Plus gênant encore est l’accent forcé d’Ahmed Sylla, jouant un tirailleur sénégalais dont la représentation grossière surprend et interpelle.
L’exemplarité qu’aurait dû revêtir le scénario sur ces enjeux de représentation n’est pas au rendez-vous. Là où le récit initiatique aurait pu proposer une morale moderne, le scénario reste truffé de clichés arriéristes, avec des personnages stréréotypés assignés à leur genre ou à leur origine puis confinés à un rôle illustratif. Loin d’un message anti-xénophobe, l’absence de nuance dans la représentation des Allemands inquiète. Ennemi de cette guerre et donc des enfants, l’Allemand est soit un (très très) méchant chef de bataillon collectionnant les crimes de guerre, soit un déserteur allemand pacifiste et francophile dégoulinant de gentillesse en aidant les Lulus et faisant office (d’éphémère) figure paternelle pour ces orphelins.
Plus encore que ces figures monolithiques, le personnage de Moussa (Ahmed Sylla) caractérise le mieux ces maladresses d’écriture. Essentialisé et sans relief, le tirailleur sénégalais, il renferme les pires relents colonialistes, comme lorsqu’il « enseigne » à Lucien (Loup Pinard) comment séduire Luce (Paloma Lebeaut) avec une anecdote périlleuse sur une chasse aux lions dans sa tribu (sic). L’un des cinq Lulus est charié et stigmatisé à de nombreuses reprises par ses copains car « trop gros », et ce presque sans réaction de sa part et surtout sans remise en cause de la part des autres. Alors que le harcèlement à l’école est une réalité pour de trop nombreux enfants, voilà un sujet qui aurait mérité un traitement plus sérieux et qui aurait sans doute donné à La Guerre des Lulus le statut de conte moral qu’il revendique.
L’une des séquences les plus indécentes et néanmoins emblématique des problèmes du film est celle où les Lulus se retrouvent au milieu d’une authentique bataille de la Grande Guerre. Une séquence inédite qui n’était pas présente dans la BD — et qui aurait logiquement dû être coupée au montage si elle ne représentait pas d’importants enjeux financiers. Rien ne nous est épargné : assauts à la baïonnette, exécution gratuite d’un personnage secondaire, explosions et effets spéciaux à en perdre l’ouïe et la vue… Au-delà son aspect invraisemblable, cette séquence n’apporte rien, ni récit, ni aux personnages.
Les cinq gamins oublient aussitôt le traumatisme auquel ils ont survécu par miracle. Les tranchées ne sont pour eux qu’un tour de manège. Il ne donne pas la touche de gravité que semblait chercher le réalisateur dans cette incursion dans « la réalité de la guerre ». Dans l’ensemble, les décors ne sont pas habités par les personnages qui les traversent comme s’ils passaient d’attraction en attraction dans une foire. Surtout, cette séquence dans les tranchées est inutilement spectaculaire là où le film réussit ses meilleures séquences dans l’intimité de la bandes de Lulus.
Il nous restait à espérer un divertissement honorable sur les cent-dix minutes que dure l’aventure des Lulus. Pourtant, les longueurs dans la plupart des séquences, l’absence de lisibilité dans le passage du temps entre les saisons (ellipses ratées : l’action semble se dérouler sur quelques jours alors que s’écoulent plusieurs mois entre le début et la fin du film) ou encore la platitude de l’histoire d’amour entre Luce et Lucien nous privent de l’expérience ludique et réjouissante qu’aurait dû être ce qu’il convient d’appeler une débâcle. Les cinéphiles de demain méritent mieux que ce spectacle désolant. Également présenté à Arras, traitant des mêmes thèmes et pour le même public d’enfants, le français Alain Ughetto réalise avec Interdit aux chiens et aux italiens une proposition hautement plus belle, drôle et convaincante (lire notre critique ici).